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3% des terres arables du Sénégal attribués à des étrangers ? Pas de preuve

Cet article date de plus de 7 ans

«Un total de 270.908 hectares sont actuellement sous contrat par des investisseurs étrangers, ce qui équivaut à 3% du total des terres arables […]. La grande majorité des offres conclues concernent des baux (durée du bail entre 10 et 99 ans)», indique le rapport 2016 de Land Matrix, spécialisé dans le monitoring des acquisitions foncières à grande échelle.

Ce chiffre largement relayé par les médias locaux a été rendu public, lors d’une conférence animée mi-février à Dakar par Angela Harding, en charge de l’Afrique à Land Matrix.

Les acquisitions de terres ont-elles atteint l’ampleur décrite par Land Matrix ? Africa Check a vérifié.

Sur quoi est basé ce chiffre ?


Contactée par Africa Check, Mme Harding a précisé que le projet Land Matrix a démarré en 2012 mais les rapports contiennent des chiffres antérieurs à cette période, remontant même au début des années 2000. Alors que beaucoup de comptes-rendus de presse au lendemain de la conférence de presse notaient que les 270 908 hectares ont été attribués à partir de 2012.

Angela Harding a souligné que Land Matrix, pour sa collecte de données, s’est basé principalement sur des articles de presse, les publications de travaux de recherche, les rapports ainsi que les sites web des organisations.

«Nous recevons aussi des informations sur notre site web, en provenance des utilisateurs, en l’occurrence nous procédons à la vérification », a-t-elle ajouté.

Notons que sur son site web, Land Matrix avertit aussi du caractère non fiable à 100% de ses chiffres qui sont régulièrement mis à jour du fait des données qui changent constamment dans les questions d’acquisition foncière.


Les acquéreurs démentent


Nous n’avons pas été en mesure de contacter toutes les 19 entreprises figurant dans le rapport. Beaucoup d’entre elles n’ont aucune trace sur internet permettant au moins d’avoir leur contact. Toutefois celles qu’on a pu joindre ont vite réagi à nos sollicitations. Cité comme acquéreur de 8000 hectares dans le nord du Sénégal, le groupe Dangote qui possède une cimenterie au Sénégal parle d’une « fausse information ».

«Nous n’avons aucune terre dans le Nord du Sénégal. Nos installations sont à Pout sur une superficie de 1.007 et à Diass sur 320 hectares», a déclaré à Africa Check, Carl Franklin, chef du bureau de relations avec les investisseurs à Dangote Group.

«Une information erronée»


Tout comme le groupe Dangote, l’entreprise italienne, Agroils Technologies SPA dénonce une « information erronée ». Elle est citée par le rapport comme détentrice de 2.750 hectares en compagnie de deux autres entités : Bioenergy Production SRL et Carbone Sink SRL.

Joint par Africa Check, son directeur, Giovanni Venturini Del Greco, a précisé que son entreprise spécialisée dans l’agriculture bio, n’est pas dans «le business de la terre» et ne possède aucune terre au Sénégal, où son intervention s’est limitée à un rôle de «consultant technique» dans un projet de Jatropha.

D’autre part, un document de la communauté rurale de Kounkané (Sud) consulté par Africa Check, infirme les allégations du rapport qui cite l’entreprise norvégienne Agroafrica AS, comme détentrice de 30.000 hectares. Le document précité, en l’occurrence un « contrat exclusif », parle de 10.000 hectares.

Sur les 19 projets, quatre ont été abandonnés, pour diverses raisons. Un fait que mentionne tout de même Land Matrix dans sa cartographie. « Nous ne possédons plus de terre au Sénégal. Depuis 2011, nous avons en effet discuté l'utilisation de 5.000 ha de terre pour la culture du Jatropha dans la zone près de Dagana (Nord). Après des essais de culture, nous avons néanmoins rendu les terres à la communauté locale, parce que le projet n'allait pas aboutir », a précisé Sebastian Saverys, directeur général de Durabilis, une entreprise belge dont la filiale sénégalaise appelée SFA est active dans la transformation du riz.

«Un gros problème d’opacité autour des contrats»


Au niveau officiel, difficile d’avoir une confirmation des chiffres avancés par Land Matrix. La Commission nationale de réforme foncière (CNRF) mise en place depuis 2012 n’a pas été en mesure de nous renseigner.

«Nous utilisons différentes sources et méthodes, y compris des investigations de terrain. Et quand c’est possible, les documents officiels, contrats ou autres qui précisent les termes des accords», a confié à Africa Check, Frédéric Mousseau, directeur de politiques à l’Institut Oakland, une organisation non gouvernementale basée aux Etats-Unis. L’Institut Oakland est l’auteur de plusieurs rapports sur l’accaparement des terres en Afrique notamment le Sénégal.

«Il y a effectivement un gros problème d’opacité non seulement autour des contrats mais aussi des études d’impact et autres documents relatifs à ces projets qui devraient être rendus publics» a-t-il ajouté. Si Land Matrix parle de 270.908 hectares, une enquête publiée par CICODEV Afrique en 2011, avançait le chiffre de 657.753 hectares soit 16,45% des surfaces cultivables.

Sur les 19 attributions recensées par Land Matrix au Sénégal, la plus importante (100.000 hectares) revient à l’homme d’affaires roumain, Ovidiu Tender. La localisation de cette superficie reste inconnue, selon le rapport. M. Tender, qui a évoqué cette acquisition dans un journal roumain, ne précise pas non plus la localisation exacte des terres qu’il a acquises au Sénégal.

Conclusion : il n’y a pas de preuve de ce chiffre


L’affirmation de l’observatoire Land Matrix selon laquelle 270.908 hectares ont été attribués à des investisseurs étrangers au Sénégal n’est vérifiable.

Le chiffre ne peut être prouvé en raison notamment de l’opacité qui entoure les contrats, comme le dit Frédéric Mousseau, directeur de politiques à l’Institut Oakland.

D’ailleurs, sur son site web, Land Matrix admet que ses chiffres ne sont pas fiables à 100% et sont régulièrement mis à jour du fait des données qui changent constamment dans les questions d’acquisition foncière. De plus, sur les 19 attributions recensées au Sénégal, la plus importante (100.000 hectares) revient à l’homme d’affaires roumain Ovidiu Tender. Mais la localisation de cette superficie reste inconnue. Les autres bénéficiaires avancent un chiffre bien en deçà de celui contenu dans le rapport.

Edité par Assane Diagne

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