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Yuki IWAMURA / AFP

Accès à l’électricité et terres arables en Afrique : deux affirmations de Macky Sall examinées 

Le président sénégalais a indiqué que « plus de 600 millions d’Africains vivent encore sans électricité » et que le continent africain détient « 60 % des terres arables dans le monde ». La première déclaration est exagérée, la seconde est trompeuse.

Cet article date de plus de 1 an

« Je rappelle qu’à ce jour, plus de 600 millions d’Africains vivent encore sans électricité (...) Nous avons aussi (...) plus de 60 % des terres arables du monde », a déclaré le chef de l’État du Sénégal, Macky Sall, par ailleurs Président en exercice de l’Union Africaine, lors d’un discours prononcé le 20 septembre 2022, à la 77e Session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies

Déclaration

« Je rappelle qu’à ce jour plus de 600 millions d’Africains vivent encore sans électricité ».

Verdict

Exagéré

La présidence du Sénégal a transmis à Africa Check cet article publié dans le blog de la Banque mondiale en 2016. Le texte indique que « plus d’un milliard d’individus dans le monde, dont 600 millions en Afrique, n’ont toujours pas accès à l’électricité ». 

Que disent les données récentes ?

Interrogée par Africa Check, la Banque mondiale explique que ses données les plus récentes sur l’accès à l’électricité se trouvent dans l’Energy Progress Report 2022. Il s’agit d’une base de données mondiale sur l'Énergie, coproduite par cinq agences et institutions internationales : la Banque mondiale, l'Agence internationale de l'Énergie (IEA), l'Agence internationale pour les Énergies renouvelables (IRENA), l’Organisation des Nations unies (ONU) et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).

L’Energy Progress Report 2022 enregistre les progrès réalisés dans le monde en matière d'énergie et d’accès à l’électricité. Il a été  publié en 2022, mais ses données sur l’accès à l’électricité concernent l'année 2020.

Cependant, l'Energy Progress Report 2022 ne fournit pas de données compilées couvrant globalement les 55 pays du continent africain. Ses données ont été réparties sur 7 régions dont la région Afrique subsaharienne et la région Asie de l’Ouest et Afrique du Nord. 

Pour avoir des données globales sur l’Afrique - Afrique subsaharienne et Afrique du Nord - nous avons additionné le nombre de personnes vivant sans accès à l’électricité en Afrique subsaharienne à ceux des pays africains inclus dans la région Asie de l’Ouest et Afrique du Nord. 

La Banque mondiale a confirmé à Africa Check que selon les données fournies par ses experts, qui se sont référés au rapport The Energy Progress Report 2022, « 589 254 300 personnes en Afrique n'avaient pas accès à l'électricité en 2020 ».

L’AIE nous a également renvoyés vers la base mondiale de données Energy Progress Report 2022, laquelle « contient les données les plus récentes sur l’accès à l'électricité ».

Saidou Abdoul Soumaré, ingénieur en génie électrique spécialisé en réseaux électriques, estime que ces chiffres communiqués par la Banque mondiale sur le nombre d’Africains vivant sans électricité « doivent globalement être proches de la réalité ». 

Soumaré est l’auteur d’un Projet d’électrification de l’île à Morphil dans le nord du Sénégal présenté dans le cadre de la validation de son rang d’ingénieur en 1992 à l’Ecole polytechnique de Thiès. Il explique que « ces Africains sans électricité vivent essentiellement dans le monde rural et dans des zones très éloignées du réseau ».

« Faute de politique volontariste ou de financement que requièrent ces projets, il faut souvent des années pour étendre les réseaux vers ces zones, même si les technologies off-grid (Ndlr : électricité hors réseau) telles les Solar Home Systems (SHS) permettent de se substituer aux réseaux », ajoute Soumaré. Cependant, « le modèle économique des SHS n’est pas à tous les coups bancable pour les investisseurs, ce qui limite son expansion à plus grande échelle sur le continent », constate-t-il.

En effet, quand on observe par exemple les données pour l’Afrique subsaharienne dans The Energy Progress Report 2022, sur les 567 525 625 vivant sans accès à l’électricité, 439 899 218 vivent en milieu rural. « Environ 80 % des personnes n'ayant pas accès à l'électricité dans le monde vivaient dans des zones rurales en 2020, ce qui limite leurs chances d'accéder à des services publics de qualité (par exemple, les soins de santé), de sortir de la pauvreté et d'améliorer leurs moyens de subsistance », peut-on lire à la page 7 du rapport.

Phill Magakoe /AFP
Prétoria, le 16 février 2022. La municipalité de Tshwane a coupé l'électricité à cause d'une facture de 16 millions de rands sud-africains. Elle mène une campagne visant à déconnecter des clients qui ont accumulé des factures élevées et n'ont pas payé la ville. Phill Magakoe / AFP

 

Un chiffre qui stagne depuis plusieurs années

Le Directeur de l'Électricité au Ministère du Pétrole et des Énergies du Sénégal, Ibrahima Niane, constate que le chiffre « 600 millions d'habitants sans accès à l’électricité en Afrique » est annoncé depuis plusieurs années.

Donc, « normalement, sur la base des efforts faits par certains États africains ces dernières années en matière d'accès à l'électricité, ce chiffre devrait légèrement baisser », selon M. Niane. Mais cette baisse tarde à être constatée du fait de « la démographie grandissante africaine » selon Alioune Badara Camara, consultant en matière de questions d’énergie.

Toutefois, « la demande énergétique de l’Afrique n’est pas uniquement due à la croissance démographique, mais aussi à l’augmentation de l’activité industrielle, commerciale et agricole », souligne Camara.

Déclaration

« Plus de 60 % des terres arables du monde » se trouvent en Afrique.

Verdict

Incorrect

La présidence du Sénégal nous a d’abord fait parvenir par mail cet article de l’agence d’informations Agence Ecofin publié en 2017 et intitulé L’Afrique possède 60 % des terres non cultivées au monde, selon la FAO

L’article rapporte des propos de l’ancien représentant par intérim de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) au Sénégal, Reda Lebtahi, qui parlait précisément des « terres non cultivées ». « L’Afrique est ainsi en passe de devenir un continent stratégique pour l’industrie agro-alimentaire mondiale, avec près de 60 % des terres non cultivées au monde », avait déclaré Reda Lebtahi, cité dans l’article. 

Puis, dans un autre échange téléphonique, la présidence du Sénégal nous a recommandé de nous baser sur des travaux de la FAO ou du FIDA, le Fonds International de développement agricole.

Le FIDA a indiqué qu’il ne produit pas de données et qu’il recourt à celles générées par la Banque mondiale, la FAO et la Banque africaine de développement (BAD). La FAO indique sur son site que l’Afrique abrite « 60 % des terres arables non cultivées du monde », détenant ainsi la plus grande superficie de terres arables non cultivées au monde.

De jeunes hommes labourent les terres de leur famille pendant la saison des pluies au Sénégal, à Fimela, le 31 août 2021. JOHN WESSELS / AFP
De jeunes hommes labourent les terres de leur famille pendant la saison des pluies au Sénégal, à Fimela, le 31 août 2021. JOHN WESSELS / AFP

 

Qu’entend-on précisément par terres arables  ?

La FAO définit les terres arables comme étant des terres « consacrées aux cultures agricoles temporaires », mais aussi « les prairies temporaires destinées à la fauche ou au pâturage, les terres cultivées en maraîchage ou en potager, et les terres en jachère temporaire (moins de cinq ans) ». La Banque mondiale reprend la même définition dans ses travaux.

En d’autres termes, « les terres arables sont des terres cultivées avec des récoltes annuelles, ou laissées en jachère, ou encore dans des pâturages en rotation - elles sont donc constamment en usage », précise la FAO dans un courriel à Africa Check. Quant aux terres non cultivées, ce sont des terres qui ne sont pas cultivées pendant une durée qui dépasse une période temporaire - elles ne peuvent donc pas être appelées terres arables, ajoute la FAO.

La FAO a expliqué à Africa Check que selon les chiffres de sa base de données statistiques FAOSTAT, « les terres arables en Afrique représentent 18 % du total mondial ». FAOSTAT compile des données de plus 245 pays et territoires sur l'alimentation et l'agriculture, et couvre toutes les régions de la FAO depuis 1961 à l'année la plus récente disponible. (Note : pour certaines recherches, l'année sur laquelle portent les données les plus récentes peu varier).

La FAO a aussi relevé que pour les terres cultivées, le pourcentage est également de 18 %. Il est un plus élevé pour les terres agricoles (24 %) qui comprennent les pâturages et les savanes.

Pour clarifier, nous avons demandé à la FAO si, lorsque l'on calcule la surface totale de terres arables en Afrique, on doit additionner le pourcentage des terres arables (18 %), le pourcentage des terres cultivées (18 %) et le pourcentage des terres agricoles (24 %) : « Non, il ne faut pas additionner les trois composantes, car elles sont imbriquées les unes aux autres », a précisé l’institution onusienne.

« Impossible de justifier avec précision le chiffre exact »

Nous avons aussi tenté de vérifier auprès de l’UNCCD, la Convention des Nations unies pour la lutte contre la désertification. Étant une organisation onusienne qui vise à réduire la dégradation des terres, entre autres objectifs, l’UNCCD se présente comme porteuse de voix pour les terres du monde. Mais elle nous a renvoyé vers les données de la FAO. 

Au Sénégal, l'Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA) nous a par ailleurs recommandé de nous baser sur les données de la FAO, soulignant que ce sont les données sur les terres arables dont elle a connaissance. 

Cheikh Omar Ba, le directeur exécutif de l’Initiative prospective agricole et rurale (IPAR) explique que l’assertion selon laquelle plus de 60 % des terres arables du monde se trouvent en Afrique « renvoie, au-delà de l’impossibilité de justifier avec précision le chiffre exact, sur l’importance que représentent les ressources naturelles africaines ».

De l’avis de M. Ba, avec le changement croissant de vocation de certaines terres agricoles au profit de l’urbanisation, on pourrait dire que les statistiques disponibles sur le foncier devraient être revues à la baisse. 

Des explications corroborées par celles du Professeur Abdala Gamby Diédhiou, enseignant chercheur au département de biologie végétale à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Selon lui, « depuis plusieurs années, les surfaces arables diminuent considérablement en Afrique comme à l'échelle globale à cause des actions anthropiques directes comme l'urbanisation et la dégradation des terres arables (salinisation, déforestation, désertification, érosion...) ou indirectes à travers les changements climatiques ».

Et puisque « l'étendue des surfaces arables en Afrique est très dynamique, le chiffre de 60 % doit en principe bouger », souligne Diédhiou qui ajoute que « si quelqu'un donne ce chiffre, il doit préciser la référence (l'auteur et l'année d'étude) pour mieux étayer son idée et la situer dans le temps (contextualisation) ».

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