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Covid-19 : 600 femmes mortes en couche deux mois après le début de la pandémie au Sénégal ?

Cet article date de plus de 3 ans

Au Sénégal, le premier cas de coronavirus a été déclaré le 2 mars 2020. Près de deux mois après cette annonce, le 30 avril 2020, un internaute signalait que « six cent femmes ont perdu la vie lors des accouchements au Sénégal depuis le #Covid19sn ».

L'auteur de la publication avait indiqué comme source le journal télévisé de 20 heures de la même date sur la chaîne privée sénégalaise TFM.



En visionnant ledit journal télévisé, on note que le présentateur avance la même information dans les titres de l'édition, en l'attribuant à l'association nationale des sages-femmes d'état du Sénégal dont la présidente, Bigué Bâ Mbodj, intervient dans le reportage.

Des propos mal rapportés


Contactée par Africa Check, Bigué Bâ Mbodj signale que ses propos ont été mal interprétés. « Je me suis exprimée au conditionnel pour dire qu’en termes de statistiques c’est cela qui est prévu si rien n’est fait », souligne-t-elle.

Elle précise : « je voulais dire que si on se base sur les statistiques qui disent quatre décès par jour, on serait à 600 décès maternels depuis le début de la pandémie. Malheureusement, beaucoup ont compris qu’il y a eu 600 décès, ce qui n’est pas le cas ».

Effectivement dans le reportage Bigué Bâ Mbodj déclare : « Selon les chiffres au Sénégal, nous perdons quatre femmes par jour. Et si on évalue depuis le début de cette pandémie, ce serait  aux environs de 600 femmes qui seraient mortes des suites d’un accouchement ».

Il apparaît tout de même que Bigué Bâ Mbodj a fait une erreur en calculant quatre décès quotidiens sur soixante jours. Cela devrait faire 240 décès.

D'ailleurs c'est ce chiffre (240) qui a été avancé par Guy Marius Sagna, un des leaders du Font pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine - France Dégage, dans l’émission Quartier Général sur la TFM le 6 mai 2020. « Depuis le début de la pandémie, 240 femmes ont perdu la vie en accouchant », soutient-il.

Joint par Africa Check pour avoir la source de son affirmation, Guy Marius Sagna nous a signifié de nous rapprocher du ministère de la Santé et de l’action sociale, qui « infirmerait ou confirmerait mes chiffres ».

 

D'où vient la donnée « 4 décès par jour » ?


La présidente de l'association nationale des sages-femmes d'état du Sénégal a déclaré à Africa Check que le chiffre est tiré du rapport de l'Enquête démographique et de santé continue 2017 publiée par l'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).

Africa check a contacté l'ANSD qui indique que la donnée ne vient pas d'elle en précisant que les informations officielles sur la mortalité maternelle, notamment la mortalité liée à la grossesse, sont dans le rapport susmentionné.

Nous avons consulté ledit document mais nous n'y avons trouvé aucune information relative à quatre décès par jour liés à la grossesse.

En revanche, un document de l’Unicef, également daté de 2017, parle d'environ « 5 femmes qui meurent par jour en couche » au Sénégal. Mais aucune précision sur l'origine de ce chiffre n'a été donnée.

 

 

« Le contexte a des répercussions sur la santé de la mère mais elles ne sont pas très significatives »


Nous sommes entrés en contact avec le directeur de la division santé de la mère et de l’enfant au ministère de la santé et de l'action sociale, le docteur Omar Sarr. Il souligne que ceux qui ont avancé des chiffres sur le nombre de décès liés aux grossesses en deux mois de pandémie se sont basés sur des estimations.

« En effet il est dit dans des documents qu’on estime que chaque jour au Sénégal quatre femmes décèdent en donnant la vie. Mais ce ne sont que des estimations », précise-t-il sans indiquer de quels documents il s'agit exactement.

Selon lui, la réalité est tout autre puisque quand on faisait ces estimations, le Sénégal était à un taux de mortalité maternelle très élevé, à peu près 392 décès pour 100 mille naissances.

Néanmoins, poursuit-il, le Sénégal a fait le point sur les décès maternels et a comparé les chiffres du mois de mars 2019 et ceux de mars 2020. « Nous avons notifié dans nos structures publiques 46 décès au mois de mars 2019. En 2020 à la même date, nous avons 24 décès à l’échelle nationale », souligne le Dr Sarr qui précise que « ce sont les chiffres réels dans nos structures. C’est cela la réalité ».

« Nous savons que le contexte a des répercussions sur la santé de la mère, mais elles ne sont pas très significatives », confie-t-il. Toutefois, il n'a pas indiqué dans quels documents on pourrait vérifier toutes ces données.

 

 

236 décès pour 100 000 naissances vivantes


Dans le rapport de l'Enquête démographique et de santé continue (EDS-Continue) 2017, la mortalité maternelle et la mortalité liée à la grossesse ne sont pas estimées en nombre de décès par jour mais en nombre de décès pour 100 000 naissances vivantes.

Le document estime le rapport de mortalité maternelle à 236 décès pour 100 000 naissances vivantes et le rapport de mortalité liée à la grossesse à 273 pour 100 000 naissances vivantes.

L'EDS-Continue 2017 définit les décès maternels comme ceux qui se produisent pendant la grossesse ou l’accouchement ou dans les 42 jours qui suivent l’accouchement ou la fin de la grossesse. « Les décès maternels n’incluent pas les décès dus à un accident ou un acte de violence », précise le document.

Quant au décès lié à la grossesse, le document indique qu'il s’agit « du décès d’une femme pendant qu’elle est enceinte ou qui se produit dans les deux mois qui suivent la fin de la grossesse, quelle que soit la cause du décès ».

L'EDS Continue 2017 précise que « les estimations de la mortalité liée à la grossesse sont basées seulement sur le moment où se produit le décès en relation avec la grossesse et n’excluent les décès consécutifs à des accidents ou des actes de violence ».

Le document souligne que « cette définition est différente de celle de l’OMS qui limite la période de référence à 42 jours ». « Ce que l’EDS Continue 2017 définit comme des décès liés à la grossesse était considéré comme des décès maternels dans l’EDS 2010-2011 », conclut l’étude.

 

 

Conclusion: pas de preuve que 600 femmes sont mortes en couche en deux mois de pandémie Covid-19 au Sénégal


Dans un reportage diffusé le 30 avril 2020 dans le journal télévisé de 20H de la chaîne sénégalaise TFM, un journaliste signale qu'au Sénégal 600 femmes étaient mortes lors des accouchements, en deux mois de pandémie citant la présidente de l'association nationale des sages-femmes d'état du Sénégal, Bigué Bâ Mbodj.

Mais, dans ce même reportage on constate que Bigué Bâ Mbodj dit précisément que « selon les chiffres au Sénégal, nous perdons quatre femmes par jour. Et si on évalue depuis le début de cette pandémie, ce serait  aux environs de 600 femmes qui seraient mortes des suites d’un accouchement ».

Toutefois, aucun document officiel ne fait état de « quatre décès par jour » au Sénégal liés à l'accouchement alors que Bigué Bâ Mbodj indique avoir tiré ce chiffre du rapport de l'Enquête démographique et de santé continue (EDS-Continue) 2017.

Dans ledit rapport, la mortalité liée à la grossesse n'est pas estimée en nombre de décès par jour mais en nombre de décès pour 100 000 naissances vivantes.

Il n'y a pas de preuve que deux mois après le premier cas de Covid-19 au Sénégal, 600 femmes ont perdu la vie en accouchant.

 

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