- La statistique selon laquelle une femme sur deux en Afrique serait veuve à 60 ans, citée par RFI, provient d'une donnée onusienne datant de 2001.
- Des études plus récentes de la Fondation Loomba et de la Banque mondiale indiquent des taux de veuvage bien plus variables et généralement moins élevés.
- La donnée relayée par RFI est aujourd’hui considérée comme dépassée et ne reflète plus fidèlement la réalité du veuvage féminin en Afrique.
« À 60 ans, sur le continent africain, environ une femme sur deux est veuve selon les Nations Unies », a déclaré Emmanuelle Bastide, la présentatrice de l’émission radiophonique 8 milliards de voisins diffusée quotidiennement sur les ondes de Radio France Internationale (RFI). Bastide a fait cette déclaration dans le numéro de l’émission intitulé Comment améliorer la situation des veuves en Afrique ? diffusée le 23 juin 2025, à l'occasion de la célébration de la Journée internationale des veuves.
La journaliste a cité comme source les Nations Unies, institution que nous avons donc contactée pour en savoir plus sur l’origine de la statistique.
D’où provient ce chiffre attribué aux Nations Unies ?
Dans un courrier électronique adressé à la rédaction d’Africa Check, la Division Population des Nations Unies a précisé que la statistique selon laquelle à l'âge de 60 ans, environ une femme sur deux en Afrique est veuve provient d'une étude de 2001 réalisée par ONU Femmes, l'entité des Nations unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes.
L’étude en question, précisent les Nations Unies, avait été lancée pour appuyer la Déclaration et le Programme d'action de Beijing, qui est un Accord international adopté en 1995 lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing visant à promouvoir les droits des femmes et à parvenir à l'égalité des sexes. Depuis lors, cette étude « a été fréquemment citée, notamment à l'occasion de chaque Journée internationale des veuves (23 juin) ». Par exemple, « le chiffre est apparu dans un article publié en 2024 par le Gender in Geopolitics Institute, qui citait la source originale d'ONU Femmes », expliquent les Nations Unies.
À la question de savoir ce que disent leurs données les plus récentes sur le sujet, les Nations Unies ont répondu que la source de données la plus complète et la plus élaborée est le World Marriage Data 2019, produit par la Division Population des Nations Unies. « Cette base de données fournit des indicateurs sur l'état civil, tels que la répartition par état civil, la proportion de personnes actuellement ou ayant déjà été mariées, et l'âge moyen au mariage, pour 232 pays et régions, avec des données couvrant la période de 1950 à 2019 ». Cependant, « il est important de noter que même si cette base de données comprend des indicateurs nationaux classifiés par âge et par sexe, elle ne contient pas d'agrégats régionaux (par exemple, pour l'Afrique dans son ensemble) », a indiqué la Division Population.
Nous avons enfin cherché à savoir si une nouvelle étude de l'envergure de celle réalisée par ONU Femmes en 2001 est prévue par les Nations Unies prochainement. En réponse, la Division Population a fait savoir que les Nations Unies ont prévu de mettre à jour les données mondiales sur le mariage à l’avenir, tout en indiquant qu’il est possible que les prochaines publications incluent des agrégats régionaux, « ce qui permettrait une meilleure analyse comparative entre les régions, y compris l'Afrique ».
Les données de 2001 ne reflètent pas nécessairement la réalité aujourd’hui en Afrique
Dans sa réponse à Africa Check, la Division Population des Nations Unies a mis en garde sur « l'utilisation des statistiques sur le veuvage de 2001. Le chiffre souvent cité de 2001 pourrait ne pas refléter la réalité actuelle ».
« Depuis 2000, note la Division onusienne, l'espérance de vie à 60 ans des hommes âgés en Afrique a légèrement augmenté, passant de 14,5 ans à 15,9 ans entre 2000 et 2025, grâce à des progrès majeurs en matière de santé publique : amélioration du traitement du VIH et du paludisme, et accès plus large aux soins de santé de base. En conséquence, les couples âgés ont désormais plus de chances de vivre ensemble plus longtemps, et la proportion de femmes veuves à 60 ans est peut-être plus faible aujourd'hui qu'il y a 25 ans ». Ainsi donc, grâce aux avancées en santé publique depuis 2000, les hommes africains vivent plus longtemps après 60 ans, ce qui pourrait réduire le nombre de femmes veuves à cet âge aujourd’hui, en 2025.
Les Nations Unies ont aussi relevé d'autres facteurs à prendre en considération, notamment :
- des variations importantes entre les pays en matière de modèles matrimoniaux et de mortalité,
- des facteurs démographiques tels que les écarts d'âge entre les conjoints et les modèles de remariage,
- des problèmes liés à la qualité des données, notamment la sous-déclaration ou l'incohérence des classifications,
- les conséquences socio-économiques du veuvage, notamment l'exclusion de l'héritage et de la protection sociale.
L’ingénieur statisticien démographe Ndatar Sène, qui a participé à l’élaboration de plusieurs rapports contenant des statistiques nationales sur la nuptialité et le veuvage, a abondé dans le même sens, en expliquant que cette statistique sur le veuvage remontant à 2001 est obsolète aujourd’hui. « Nous sommes actuellement en 2025, donc cette statistique est caduque car les phénomènes démographiques influençant la survenue du veuvage, évoluent. Il s'agit entre autres de la mortalité des hommes et de la nuptialité ».
Pour ce qui est de la mortalité, le démographe souligne qu’elle a une tendance baissière en Afrique, « donc cette baisse aura un effet réducteur de cette statistique pour l'amener à 1 femme sur 3 paŕ exemple ». Concernant la nuptialité, Ndatar Sène souligne qu’ « avant d'être veuve, il faut être dans un lien de mariage. Hors, avec les difficultés économiques de plus en plus récurrentes en ville, les mariages deviennent de plus en plus rares, les divorcés de plus en plus fréquents. Ce qui contribuerait aussi à baisser cette statistique ».
Existe-t-il d’autres sources de données sur le sujet ?
Une section sur le site des Nations Unies est dédiée à la Journée internationale des veuves célébrée le 23 juin de chaque année. On peut y lire qu’ « on estime qu'il y a environ 258 millions de veuves dans le monde » et qu’ « une veuve sur dix vit dans une pauvreté extrême ». Aucune mention n’y est faite de statistiques relatives au nombre de femmes qui deviennent veuves en Afrique à l’âge de 60 ans. La source indiquée par le site des Nations Unies est une organisation appelée The Loomba Foundation . Il s’agit d’une organisation internationale basée en Inde et en Grande Bretagne, travaillant à la sensibilisation sur les conditions de vie difficiles des veuves à travers le monde. Grâce à ses recherches et à ses campagnes menées à travers le monde, la Fondation dit se battre pour atteindre son objectif ultime : changer les mentalités profondément ancrées dans les cultures et les sociétés, afin que la discrimination et l'injustice envers les veuves en Inde et dans le monde entier soient éradiquées une fois pour toutes. Sur son site internet, The Loomba Foundation indique d’ailleurs être à l’origine de l’initiative de la Journée internationale dédiée aux veuves qu’elle a établie en 2005, avant que cette journée ne soit officiellement reconnue et adoptée par les Nations Unies en 2010.
Contactée par Africa Check, The Loomba Foundation a indiqué n’avoir ni produit ni retrouvé dans ses travaux, notamment son rapport phare World Widow Report publié en 2015 (Rapport mondial sur le veuvage), des statistiques concernant la proportion de femmes sur le continent africain qui deviennent veuves à l’âge de 60 ans.
Ledit rapport contient des données sur le nombre de veuves répertoriées à travers le monde en 2015, chiffre qui s'élève à 258 481 056, comme l’indiquent les Nations Unies sur leur site. Parmi ces veuves, au moins 38 261 345, soit 14,8 % du total, vivent dans l'extrême pauvreté et ne peuvent subvenir à leurs besoins fondamentaux, selon le World Widow Report.
En Afrique subsaharienne, l’étude dénombre 22 153 905 veuves dans cette région où « les conditions les plus difficiles sont celles des veuves expulsées et abandonnées avec des personnes à charge, des veuves âgées qui s'occupent de petits-enfants orphelins à cause du VIH/sida et de celles qui se trouvent dans les zones touchées par Ebola, où des millions de personnes ont besoin d'aide en raison de l'effondrement économique, aggravé par les rituels traditionnels de "purification"».
En termes de méthodologie, la Fondation a expliqué s’être appuyée sur les données provenant de recensements nationaux et d’enquêtes démographiques dont certaines sont anciennes, remontant aux années 1970. Dans d'autres cas où des données récentes n'étaient pas disponibles et qu'un pays donné avait connu une guerre ou une guerre civile, un ensemble d'indicateurs de développement humain a été choisi parmi les pays disposant de données plus récentes et ayant connu un type de conflit similaire, en examinant notamment leurs données officielles sur les veuves, en calculant la moyenne des veuves pour ces pays de comparaison, puis en appliquant cette moyenne au pays en question ne disposant pas de données.
Des précautions sont tout de même recommandées par la Fondation sur l’interprétation de ses données sur les veuves. L'une des principales caractéristiques des données sur les veuves en général, qui s'applique à l'échelle mondiale, est que lorsque les veuves sont recensées dans les recensements et les enquêtes démographiques, les données ne prennent en compte que les femmes qui sont veuves au moment de la collecte des données. Les veuves qui se sont remariées ne sont pas comptabilisées comme telles, car considérées comme des veuves au moment de la collecte des données. Le nombre réel de femmes sera donc toujours probablement sous-estimé. Il est à noter également que dans les pays où le mariage des enfants est encore pratiqué, les veuves enfants peuvent ne pas être signalées ou être sous-déclarées en raison des risques de violation des lois sur l'âge minimum et/ou des tabous culturels.
En dehors des données de cette Fondation, la Banque mondiale indiquait dans un article de blog publié en 2016 qu’« en Afrique, une femme sur dix âgée de 15 ans ou plus est veuve ». Cette conclusion faite par un chercheur de la Banque mondiale repose sur les résultats de plusieurs enquêtes démographiques et de santé (DHS) menées dans différents pays africains. Donnant plus d’explications dans ce sens, la Banque mondiale a précisé à Africa Check qu’à ce jour, elle ne dispose pas de données consolidées à l’échelle continentale sur la proportion exacte de femmes devenant veuves à l’âge de 60 ans.
Conclusion : la statistique relayée par RFI est obsolète
Lors d’une émission diffusée sur Radio France Internationale (RFI), une présentatrice a affirmé que « sur le continent africain, environ une femme sur deux est veuve à 60 ans, selon les Nations Unies ». Bien que l’ONU ait effectivement été identifiée comme la source initiale de cette statistique, l’organisation a précisé que cette donnée, datant de 2001, est désormais caduque. Les chiffres de l’époque ne reflètent plus fidèlement la réalité actuelle du veuvage en Afrique.
Des sources plus récentes, telles que les données de la Fondation Loomba (2015) et les estimations de la Banque mondiale (2016), ne corroborent pas l’idée qu’une femme sur deux en Afrique devient veuve à l’âge de 60 ans. Ces études suggèrent des proportions moins élevées et plus nuancées, en fonction des pays et des contextes socio-économiques.
En tenant compte de ces éléments, il apparaît clairement que la statistique relayée par RFI est obsolète et ne peut être considérée comme représentative de la situation actuelle du veuvage féminin sur le continent africain.
Article édité par Valdez Onanina.
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