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La e-cigarette plus sûre que le tabac ? Aucune preuve scientifique

Cet article date de plus de 6 ans

L’organe de contrôle de la publicité en Afrique du Sud a demandé au vendeur de cigarettes électroniques Twisp de retirer une publicité radiophonique selon laquelle ses produits sont à «95% plus sûrs que de fumer». Pourtant, l’annonce apparaît toujours sur son site.

La même annonce est également sur le site d'un concurrent de Twisp, Vaperite. Les deux entreprises se réfèrent à la conclusion d'une agence du département de la Santé du Royaume-Uni (Public Health England).

En clair, l'Autorité des normes publicitaires d'Afrique du Sud n'a pas jugé la crédibilité de l'article de Public Health England. Elle (l’Autorité) a statué que la demande n'était pas «adéquatement étayée» pour les produits annoncés.

Dans ce fact-check, nous emprunterons la piste que l'Autorité publicitaire a omise. Existe-t-il des preuves solides que les cigarettes électroniques sont plus sûres à 95% que celles classiques?

Les cigarettes ont obtenu 99,6% de «dommages relatifs maximum»


Une sélection de cigarettes électroniques exposées lors du ‘’E-Cigarette Summit’’ à l’Académie Royale de Londres en novembre 2013. Photo AFP. Une sélection de cigarettes électroniques exposées lors du ‘’E-Cigarette Summit’’ à l’Académie Royale de Londres en novembre 2013. Photo AFP.

Le rapport de Public Health England, intitulé «E-cigarettes: an evidence update» a été publié en août 2015. Cependant, sa conclusion était basée sur un rapport de recherche publié l'année d’avant dans la revue European Addiction Research.

Le Comité scientifique indépendant sur la drogue, un organisme de bienfaisance du Royaume-Uni, a organisé un panel avec douze experts internationaux à Londres en 2013. Ceux-ci avaient une expertise dans diverses disciplines pour effectuer la recherche sur la nicotine et le tabac, comme la médecine, la psychiatrie, la politique et le droit. (Le Dr Kgosi Letlape, président du Conseil des professions de la santé d'Afrique du Sud était l'un des panélistes).

Au cours d'un atelier de deux jours, les experts ont utilisé un modèle appelé analyse de décision multicritères (MCDA, en anglais) pour évaluer le préjudice des produits contenant de la nicotine. Face à une décision importante, un groupe de personnes utilisant la méthode MCDA sélectionnera la  «meilleure» alternative ou «la préférée» parmi un ensemble d'options. Une telle décision est prise après une analyse approfondie de multiples critères et de leur importance.

À l'aide de cette méthode, le panel a noté les produits électroniques du système de livraison de nicotine tels que les cigarettes électroniques indiquant qu’elles ont seulement 4% de «préjudice relatif maximum». Les cigarettes (traditionnelles) ont été classées parmi les produits de nicotine les plus nuisibles avec un score de 99,6%.

 

Absence de données et sélection du panel


Avant de se mettre à la cigarette électronique, il est important de lire ces deux limites clés que le panel a lui-même soulignées.

La première est qu'ils ont fait face à une absence de données. Les cigarettes électroniques sont des produits assez récents et n'ont donc pas fait l'objet de recherches approfondies en ce qui concerne la dépendance, la maladie et la mort associée. Par la suite, on pourrait s'attendre à ce que les e-cigarettes obtiennent un score très faible sur les principaux critères liés à la santé.

La deuxième est que le groupe d'experts n'a pas été sélectionné en fonction de critères formels. Ce qui signifie que le favoritisme pourrait s'être creusé. Ce problème est aggravé par les conflits d'intérêts que certains panélistes ont révélés.

Par exemple, Riccardo Polosa, professeur de médecine interne, a déclaré servir de consultant chez Arbi Group Srl, un distributeur de cigarettes électroniques. Un autre auteur, le Dr Karl Fagerström, a servi de «consultant pour la plupart des entreprises intéressées par les traitements contre la dépendance au tabac». Une de ces entreprises est Nicoventures, qui a été créée par British American Tobacco pour développer et commercialiser des produits de nicotine sans tabac.

 

 

Une recherche “extraordinairement fragile”, selon Lancet


Après l’éclatement de cette affaire, les critiques ont rapidement suivi. Dans un éditorial publié une semaine après l’article de Public Health England, la revue médicale The Lancet a qualifié cette  recherche d’«extraordinairement fragile».

Elle s’est fondée sur les raisons évoquées plus haut: l’absence de preuve, la façon dont les experts avaient été choisis et les multiples conflits d’intérêt.

The Lancet a conclu que «la confiance de Public Health England à ce travail dont les auteurs eux-mêmes acceptent la faiblesse de la méthodologie et qui est rendue périlleuse par des conflits d’intérêts concernant son financement, soulève des questions sérieuses non seulement sur les conclusions de l’article de Public Health England mais aussi sur la qualité du processus de revue par les pairs».

Deux semaines plus tard, le British Medical Journal en faisait de même. Dans une analyse, deux professeurs britanniques ont présenté la recherche d’où la déclaration a été tirée comme une «simple rencontre de 12 personnes réunies pour développer une modèle d’analyse de décision multicritères pour synthétiser leurs opinions sur les méfaits de différents produits contenant de la nicotine ».

Le vice-directeur de la recherche l’Université des Sciences sanitaires Sefako Makgatho d’Afrique du Sud, le Professeur Lekan Ayo-Yusuf, a beaucoup écrit sur le contrôle et l’usage du tabac en Afrique subsaharienne. Il a dit à Africa Check qu’on peut se demander si la même différence de pourcentage pourrait être obtenue si les chercheurs utilisaient les principes reconnus (acceptés) d’évaluation des risques, par rapport aux jugements de valeur des panélistes.

 

 

Que sait-on de la sécurité des e-cigarettes ?


Donc l’article à la base de la déclaration selon laquelle «vapoter est plus sûr que fumer » présente un certain nombre de failles. Mais y a-t-il peut-être d’autres études scientifiques approfondies pour appuyer cette idée ?

La plupart des revues suggèrent qu’il est trop tôt de le dire avec certitude. Le Réseau Cochrane des chercheurs en santé a passé en revue toutes les études réalisées sur ce sujet (jusqu’en janvier 2016) où les cigarettes étaient utilisées pour aider les gens à cesser de fumer.

Les critiques ont écrit : «le consensus des experts relève qu’en se basant sur les preuves disponibles, les cigarettes électroniques sont plus sûres que les cigarettes traditionnelles, mais des études complémentaires sont nécessaires pour établir un profil de sécurité par rapport aux aides de cessation de sevrage tabagique établies ».

Un article publié plus tôt dans la revue Preventive Medecine – examinant de manière plus approfondie les effets sanitaires des e-cigarettes – a évalué les études publiées jusqu’au 14 août 2014. Elle conclut qu’en raison des nombreux problèmes méthodologiques, les études relativement rares, les inconsistances et contradictions dans les résultats et du manque de résultats à long terme, on ne peut tirer de conclusions fermes concernant la sécurité des e-cigarettes. Toutefois, on peut difficilement les consider comme inoffensifs.

Parce que le jury ne s’est pas encore prononcé, la Food and Drug Administration (FDA) des Etats-Unis n’a pas approuvé les e-cigarettes contenant de la nicotine comme un produit pour aider les gens à cesser de fumer.

De plus, l’Organisation mondiale de la santé affirmait en août 2016 qu’aucune crédibilité ne peut être accordée à un chiffre quel qu’il soit concernant plus de sécurité liée à l’usage de ces produits par rapport à la cigarette à l’heure actuelle.

En fin de compte, «le préjudice porté à autrui» doit être considéré quand il faut évaluer la preuve, en plus du préjudice relatif au niveau d’un fumeur individuel, a dit le Professeur Lekan Ayo-Yusuf à Africa Check.

“Même si les e-cigarettes peuvent être un outil efficace pour se débarrasser de la nicotine pour un fumeur individuel, on ne sait pas leur efficacité dans la réduction du préjudice porté aux autres », a-t-il dit. Quand les e-cigarettes sont disponibles sans régulation, les possibles préjudices à la population peuvent inclure la re-normalisation l’usage régulier du tabac et la promotion du tabac chez les jeunes.

 

 

Conclusion : la déclaration n’est pas prouvée


L’idée selon laquelle l’usage des cigarettes est 95% plus sûr que celles régulières est puisée d’une recherche publiée en 2014. Elle a été divulguée en 2015 dans une revue par une agence du département britannique de la Santé.

La revue a été aussitôt critiquée par deux revues médicales réputées, The Lancet et le British Medical Journal. Elles ont toutes les deux souligné qu’il n’y avait pas assez de données sur ce produit relativement nouveau pour évaluer sa sécurité et que cette idée était essentiellement basée sur l’opinion de 12 experts.

De plus, le vice-directeur d’un institut médical ’Afrique du Sud a dit à Africa Check que l’on peut se demander si une telle différence peut être répliquée en utilisant les techniques établies.

Il faut plus de recherches pout dire pouvoir dire avec une certitude scientifique si les e-cigarettes sont plus sûres que le tabac traditionnel.

Patrick Ngassa Piotie (@PatNgassa) est un médecin originaire du Cameroun. Il est titulaire d’un master en santé de l’Université de Pretoria.  Il est actuellement chercheur à Wits Reproductive Health and HIV Institute.

Lisez la version originale en anglais.

 

 

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