La presse sénégalaise a annoncé, le mardi 8 décembre 2015, l’octroi du titre de réfugié en Belgique à "1.839 homosexuels sénégalais", reprenant un article de wabitimrew.net, un site d'information des Sénégalais de la diaspora.
Le site d'information cite le secrétariat d’État belge à l’Asile et à la Migrations qui aurait déclaré que «le nombre de sénégalais ayant déposé l’asile en Belgique depuis 2010 a atteint 3280. Sur ce nombre, 1839 sénégalais ont reçu leur titre de réfugiés après avoir été reconnus comme homosexuels’’.
Selon la même source, ‘’ces demandes de protection internationale pour le motif d’homosexualité ne sont pas seulement l’apanage des hommes mais également des femmes dont 327 (sur les 1839) ont été reconnues lesbiennes.
Le site d’information rapporte également les propos d’un ‘’interlocuteur belge’’ qui explique « le Sénégal n’est pas sûr dans la liberté sexuelle. Raison pour laquelle l’Etat belge accorde cette protection aux homosexuels sénégalais ».
Quelle est la source de cette information ?
Africa Check a pris contact avec le cabinet de Theo Francken, secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, qui a promis, par courriel, de traiter notre demande « dans les plus brefs délais » ou de « la transmettrons aux services compétents». Mais aucune réaction ne nous est parvenue jusqu’ici. Nous allons actualiser notre reportage dès que nous recevrons une réaction.
Les chiffres sont-ils corrects? Non, selon l'organisme en charge des réfugiés

En tout cas, Damien Dermaux du service Communication, Information et Presse du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA ) de la Belgique a expliqué à Africa Check que « c’est bien le CGRA …qui se charge de l’évaluation de toutes les demandes d’asile introduites en Belgique ».
Et il a déclaré que l’information selon laquelle « 1839 Sénégalais ont reçu leur titre de réfugié après avoir été reconnus comme homosexuels » est « fausse, ces chiffres sont tout simplement fantaisistes ! ».
Et pour cause, selon Dermaux, « sur les cinq dernières années (2010 – 2014), il y a eu en Belgique 1.781 demandes d’asile introduites par des personnes originaires du Sénégal et ce tous motifs invoqués à l’appui de leurs demandes d’asile confondus ».
Selon lui, le CGRA a pris durant la période de cinq ans allant de 2010 à 2014 « un total de 319 décisions de reconnaissances de la qualité de réfugié au bénéfice de personnes originaires du Sénégal et qui ont invoqué un motif lié à l’orientation sexuelle et identité de genre (cela concerne principalement l’homosexualité) ».
Année | Nombre de demandes d'asile |
2010 | 252 |
2011 | 397 |
2012 | 534 |
2013 | 344 |
2014 | 254 |
Total | 1781 |
Source: CGRA de la Belgique
Année | Nombre de décisions de reconnaissance |
2010 | 55 |
2011 | 94 |
2012 | 45 |
2013 | 73 |
2014 | 52 |
Total | 319 |
Source: CGRA de la Belgique
Des demandes d'asile pour orientation sexuelle en hausse
Damien Dermaux a relevé que de manière générale, les demandes d’asile basées sur l’homosexualité « sont en augmentation en Belgique par rapport à la situation d’il y a quelques années ».
« 376 demandes d’asile – tous pays confondus – basées sur ce motif avaient été traitées par le CGRA en 2009, 528 en 2010, 823 en 2011, 1.059 en 2012, 1.225 en 2013 et 1.070 en 2014 (en légère baisse par rapport à 2013 donc) », a-t-il signalé. Pour 2015, a-t-il expliqué, « les chiffres ne sont pas encore disponibles puisqu’ils sont calculés seulement à la fin d’une année ».
Parmi les dossiers traités en 2014, 1.070 étaient des demandes d’asile basées sur une crainte liée à l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Ces demandes émanaient de 841 hommes et 229 femmes.
Sur ces 1.070 dossiers – tous pays confondus - 227 concernaient la prise en considération ou la non prise en considération de demandes multiples. Il y a donc eu, pour l’année 2014, 843 dossiers dans lesquels le CGRA a pris une décision au fond, c’est-à-dire une décision d’accorder ou non la protection international. Sur ces 843 dossiers traités au fond en 2014, 295 se sont clôturés par une décision positive (289 reconnaissances du statut de réfugié et 6 octrois de la protection subsidiaire), soit un taux de protection de 34,9 %.
Selon la CRGA, les demandeurs d’asile ayant invoqué ce motif en 2014 provenaient de 70 pays différents. Parmi ces 70 pays de provenance, les pays africains occupent le haut du « classement » en termes de nombre de ressortissants.
Quelle est la situation de l’homosexualité au Sénégal ?

L’homosexualité est pénalement réprimée au Sénégal où elle est considérée comme un attentat aux mœurs. Selon le code pénal, elle est considérée comme un « acte impudique ou contre nature ».
« Sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. Si l’acte a été commis avec un mineur de 21 ans, le maximum de la peine sera toujours prononcé », mentionne le code pénal, dans son alinéa 3.
Interrogé par Africa Check, Seydi Gassama, secrétaire exécutif d’Amnesty International/Sénégal, a reconnu l’inexistence de protection pour les homosexuels qui font souvent l’objet de condamnation pour « actes contre-nature ». Selon lui, « l’Etat est tenu de les protéger contre les abus, s’il est informé ».
La même analyse est faite par le juriste Saliou Sambou, ancien collaborateur de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO).Il a souligné qu’au Sénégal, « l’homosexualité est tolérée par le gouvernement mais interdite par la loi. Les homosexuels sont parmi nous mais dans l’insécurité, parce que le code pénal interdit l’homosexualité ».Au cours de ces dernières années, « beaucoup de personnes ont été condamnées pour actes ‘contre nature’ », a-t-il rappelé à Africa Check.
Conclusion : L'affirmation du site d'information est fausse, même si les demandes d'asile sont en hausse
L'information du site www.wabitimrew.net -- reprise par plusieurs organe de presse du Sénégal -- faisant état de l'octroi de l'asile à 1.839 Sénégalais pour homosexualité, au cours des cinq dernières années, est fausse.
Les statistiques disponibles font plutôt état de 319 Sénégalais ayant bénéficié de ce statut en raison de leur orientation sexuelle au cours des cinq dernières années.
Les mêmes chiffres indiquent toutefois que les demandes d’asile basées sur une crainte liée à l’orientation sexuelle ou l’identité de genre sont en augmentation par rapport à la situation il y a quelques années.
Ils révèlent que le Sénégal occupe la première place du top 5 des principaux pays de provenance en 2014 avec 249 demandes (parmi lesquelles 52 décisions de reconnaissance) en Belgique.
Relu par Peter Cunliffe-Jones
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