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Sénégal : deux déclarations de Macky Sall sur les salaires et la dette examinées

Cet article date de plus de 4 ans

Le 1er mai 2019, le président sénégalais Macky Sall a souligné, face aux leaders syndicaux, un déséquilibre dans les dépenses publiques caractérisé par des charges qui n’autorisent guère l’investissement public, à partir de ressources internes.

« Aujourd’hui, la masse salariale annuelle est à 860 milliards, compte non tenu des agences et assimilées. Les agences à elles seules ont une masse salariale annuelle de plus 140 milliards. Au total, ça fait 1000 milliards à payer en termes de salaires », a répondu le Président Macky Sall aux leaders d’organisations syndicales, lors de la présentation des cahiers de doléances, le 1er mai 2019.

Le chef de l'Etat sénégalais avait aussi indiqué que « le service annuel de la dette est presque à 864 milliards ».

D’où tient-on ce tableau des finances publiques ?


Africa Check est entré en contact avec le pôle communication de la Présidence de la République. Son coordonnateur, El Hamidou Kassé (qui n'occupe plus cette fonction), nous a dirigé vers le « ministère des Finances et du Budget ».

Claim

Au total, il y a 1000 milliards de FCFA de salaire à payer au Sénégal

Verdict

incorrect


Nous avons consulté le rapport sur la Situation économique du Sénégal en 2018 et perspectives en 2019, publié par la Direction des prévisions et des études économiques, rattachée au ministère des Finances et du Budget.

Le document indique que la rémunération des salariés était estimée à 682 milliards de francs CFA en 2018. Ce qui, selon le rapport, représente une hausse de 13,7 % par rapport à l'année précédente.

Le poids des salaires a augmenté sous l’effet des accords signés avec les syndicats, selon la Loi de finances rectificative 2018 qui, quant à elle, indique que la masse salariale était de 683 milliards de francs CFA en 2018.

Africa Check a également consulté le rapport trimestriel d'exécution budgétaire du quatrième trimestre 2018 publié par la Direction générale du Budget.

Le document indique « qu'en fin décembre 2018, la masse salariale cumulée s'est établie à 681,88 milliards de francs CFA ».

Cela représente un taux d'exécution de « de 99,8 % par rapport à la prévision de la LFR pour l’année 2018 », précise le rapport.

Les données du rapport trimestriel d'exécution budgétaire du quatrième trimestre 2018 sont identiques à celles d'un document de la Direction de la Solde consulté par Africa Check.

Pour 2019, la Loi de Finances initiale estime la masse salariale à 743,4 milliards de francs CFA, de même que la loi de finances rectificative adoptée en juin dernier.

Combien paient les agences ?


Le rapport trimestriel d’exécution budgétaire du quatrième trimestre 2018 indique qu’à la date du 31 décembre 2018, il y avait 88 organismes publics autonomes dont 50 agences et structures administratives similaires ou assimilées, 21 établissements publics de santé et 17 établissements d’enseignement supérieur publics et centres des œuvres universitaires.

Selon le document, « le budget cumulé de ces unités extra budgétaires est arrêté à 1 425,056 milliards de francs CFA, répartis entre fonctionnement (540,326 milliards, soit 37,92 % du montant total) et investissement (884,730 milliards, soit 62,08 %) ».

Le rapport indique que « les prévisions pour la masse salariale » de ces organismes publics (y compris les agences et structures administratives similaires ou assimilées) « sont évaluées à 139,807 milliards de francs CFA ».

En revanche, selon des données qu'Africa Check a obtenues du ministère des Finances et du budget, la masse salariale des agences et autres organismes publics autonomes était de 125,127 milliards de francs CFA en 2018 avec une prévision de 137,202 milliards de francs CFA pour 2019.

La cellule de communication du ministère des Finances et du Budget souligne que « les 1000 milliards de francs CFA indiqués par le Chef de l’Etat, le 1er mai 2019, intègrent les salaires du secteur parapublic, agences, établissements publics, etc. ».

Africa Check a également obtenu de la cellule de communication du ministère des Finances et du Budget, le montant des salaires des contractuels de l'Education et de la Formation. Celui-ci est de « 59.221.012.000 F CFA au titre de la LFR 2019 ».

« La composition est la suivante : 52.171.012.000 pour les professeurs et maîtres contractuels de l'Education nationale,1.630.000.000 pour les primes des maîtres contractuels et 5.420.000.000 pour les contractuels de la Formation professionnelle », est-il précisé.

Sur la base des différentes données disponibles, la masse salariale globale (fonction publique et organismes publics autonomes) fait environ 939,8 milliards de francs CFA et non 1 000 milliards comme l'a indiqué Macky Sall.

D'autant que le président sénégalais affirme que la masse salariale annuelle des agences est chiffrée à plus de 140 milliards de francs CFA, alors qu'elle n'atteint pas en réalité ce montant.



Ce que la Banque mondiale disait de la masse salariale du Sénégal en 2014


Dans le rapport Situation économique du Sénégal 2014, publié en décembre 2014, la Banque Mondiale faisait quelques précisions sur la masse salariale du Sénégal. L’institution indiquait ainsi que « seuls les fonctionnaires sont pris en compte dans les statistiques officielles ».

« Ces statistiques omettent, donc, les enseignants contractuels dont le nombre équivaut à 40 % de la totalité de la fonction publique », poursuit la Banque qui souligne par ailleurs que les employés des agences, des universités, des hôpitaux et des projets de développement financés par l’aide extérieure sont également exclus, alors qu’ils représentent 10 % de la totalité des fonctionnaires ».

Partant de là, l’économiste Mady Cissé estime qu’il n’est pas exclu que la masse salariale dépasse les 1000 milliards F CFA évoqués par le président sénégalais pour se situer à 1 114 milliards.

La Banque Mondiale notait également qu' « alors que les chiffres officiels indiquent que la masse salariale du Sénégal est conforme au seuil de 35 % des recettes, tel que fixé par l’UEMOA, les corrections laissent voir qu’elle est manifestement au-dessus de 40 % ».

Dans cette hypothèse, souligne Mady Cissé « si on prend les recettes fiscales prévues dans le budget de 2019, estimées à 2 534 milliards de francs CFA, si on applique le taux de 40 %, on aura une masse salariale de 1 013 milliards de F CFA, légèrement plus élevé du chiffre de l'autorité ».

« En réalité, indique l’économiste,  l'Etat veut respecter la norme UEMOA, masse salariale/ recettes fiscales = 35%. De ce fait, une bonne partie des  salariés ne sont pas traités dans la masse salariale des fonctionnaires, et de ce fait, l'Etat peut respecter virtuellement la norme UEMOA » .

Toutefois, toutes les données consultées par Africa Check donnent une masse salariale en deçà de 1 000 milliards de francs CFA.





Claim

Le service annuel de la dette est presque de 864 milliards de francs CFA

Verdict

mostly-correct


Lors de son face à face avec les organisations syndicales, le Président Sall a également souligné que « le service annuel de la dette est presque à 864 milliards » de francs CFA.

Le service de la dette, souligne Thierno Thioune, maître de conférence à la Faculté des Sciences économiques et de gestion de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, « c’est la charge annuelle de remboursement du principal (amortissement des emprunts) et des paiements des intérêts sur ces emprunts ».

Le journaliste Abdou Diaw, animateur de la rubrique Comprendre les termes de l'Economie dans le quotidien sénégalais Le Soleil, précise que « des paramètres sont pris en compte dans la détermination du service de la dette. Il s’agit du volume de la dette, mais aussi du taux d’intérêt avec lequel l’Etat a négocié son endettement auprès des créanciers et l’échéance pour rembourser cette dette ».

Que disent les données disponibles sur le service de la dette ?


Le rapport sur la Situation économique et financière 2018 et perspectives 2019, publié en novembre 2018 prévoyait que « l’encours de la dette publique totale devrait s’établir à 6 467,6 milliards de francs CFA au terme de l’année 2018 ».

Et pour l'année 2019, les prévisions sont de 6 902,3 milliards francs CFA, selon le même document.

Pour ce qui est du service de la dette, la loi de finances rectificative 2018 indique que celui-ci est de 882 milliards de francs CFA en 2018.

Le rapport d'exécution budgétaire du quatrième trimestre 2018 précise toutefois que « le montant ordonnancé au 31 décembre 2018 au titre du service de la dette (dette de maturité supérieure à un an) s’élève à 829,71 milliards de francs CFA, soit un taux d’exécution de 94,1 % des prévisions de la LFR 2018 arrêtées à 882 milliards de francs CFA ».

Pour ce qui est de 2019, aussi bien la loi de finances initiale que la loi de finances rectificatives prévoit un service de la dette de 863,17 milliards de francs CFA.

Le montant avancé par le président sénégalais est donc globalement correct.


Quels impacts sur l'économie du pays ?


Dr Thierno Thioune a expliqué à Africa Check que « si un pays réalise des excédents commerciaux, ceux-ci serviront à rembourser sa dette, transformant positivement tous les indicateurs ou ratios budgétaires, voire économiques ».

Mais l’inverse (déficits commerciaux) est à redouter dans la mesure où cela va constituer « une pression importante sur les finances publiques », prévient-il

Il précise que « plus que l’encours de la dette, c’est le ratio de l’encours de la dette par rapport au PNB (Produit national brut) et le ratio du service de la dette publique extérieure aux exportations qui donnent une évaluation de la soutenabilité de la dette ».

Et d'avertir que « si on ne surveille pas le service de la dette, il sera quasiment impossible de l'honorer et certainement le pays pourrait ainsi tomber dans un cercle vicieux de l’endettement international ».

L’économiste indique par ailleurs que « le record absolu fait par le Sénégal récemment, qui voit sa dette dépasser les 6 000 milliards de francs CFA, est la conséquence des dettes chères que le Sénégal a contracté ces dernières années à des taux de 8,75 % sur 10 ans et de 6,25 % sur 16 ans ».

Ce qui, selon lui, « constitue un lourd fardeau pour les finances publiques et laissera peu de marge de manœuvre pour les choix de politiques économiques ».

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