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BLOG - Nombre de divorces au Sénégal : au-delà de la polémique

Au Sénégal, le sujet sur le nombre de divorces par an a récemment suscité beaucoup de commentaires, alors même que le pays ne dispose pas de données globalisées et fiables sur le sujet. Dans ce blog, Africa Check explique les difficultés d’avoir des statistiques sur le divorce.

En novembre 2021, plusieurs médias sénégalais dont Seneweb, Senego, Pulse.sn ont rapporté qu’il y a 126 286 divorces par an au Sénégal. Certains de ces articles ont même précisé que ce chiffre concerne l’année 2020 et qu’il correspond à 345 divorces par jour dans le pays : un ratio journalier obtenu en divisant le total de divorces (126 286) par le nombre de jours dans l’année (365).

Des publications sur Facebook (1,2,3,4,5) et Twitter ont également fait l’écho de cette information. 

Démentis par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), ces chiffres obligent tout de même qu’on interroge les statistiques sur le divorce dans le pays.

Chiffres publiés en 2013 et sortis de leur contexte

Pour endiguer la vague de mésinterprétation (et de désinformation) sur ces chiffres sur le divorce, l’ANSD a précisé sur Twitter que ce chiffre a été communiqué dans le rapport du Recensement général de la population et de l'habitat, de l'agriculture et de l'élevage (RGPHAE) publié en 2013 ; le dernier en date publié par la statistique sénégalaise. L’ANSD a souligné que cette statistique ne concerne pas les cas de divorce au Sénégal.

Dans une correspondance à Africa Check, l’ANSD explique qu’il est incorrect de diviser ce chiffre (126 286 divorces) par 365 (nombre de jours de l’année) et de considérer le résultat comme étant le nombre de divorces par jour.

De plus, poursuit l’Agence, « le RGPHAE est une photographie de la population à un instant T. Il ne donne pas l’effectif des divorces de 2013 mais plutôt l’ensemble des personnes dont la situation matrimoniale est divorcé(e) ».

« Le chiffre 126 286 représente l’ensemble des personnes dont la situation matrimoniale au moment du RGPHAE est divorcé(e). Certains de ces individus sont divorcés avant même 2010, 2000… », insiste l’ANSD.

Ces explications de l’ANSD sont concises et permettent d’établir une interprétation plus appropriée de ces chiffres. Mais la question demeure : quel est actuellement le nombre de divorces par an au Sénégal ?

Le divorce au Sénégal

Le Code de la famille sénégalais définit le divorce comme la rupture définitive des liens conjugaux prononcée par le juge. Il peut résulter d’un consentement mutuel (les deux époux, d’une volonté commune, décident de mettre fin à leur union) ou par contentieux. Dans ce dernier cas, le juge décide de la rupture parce que les époux n’ont pas trouvé un moyen de se séparer à l’amiable.

« Dans tous les cas, le divorce ne peut être valable que s’il est prononcé par un juge », insiste Maître Mamadou Diouf, greffier au Tribunal d'instance de Dakar.

Mais, « socialement parlant, au Sénégal, le divorce n’est pas que judiciaire », rappelle Fatou Binetou Dial, sociologue et chercheuse à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), elle est auteure d’une thèse intitulée Le parcours matrimonial des femmes à Dakar : subir le mariage, s'approprier le divorce.

La sociologue explique qu’au Sénégal,  nombreux sont les divorces qui échappent à l’appareil juridique. « Même si la répudiation est interdite par le Code de la Famille depuis 1972, le mari peut unilatéralement décider de rompre les liens du mariage. Lorsque l’homme répudie sa femme, le divorce est de fait reconnu et par la société et par la religion, mais pas par la justice », relève la chercheuse.

Inexistence d’une base de données nationale sur le divorce

Établir des statistiques sur le divorce au Sénégal reviendrait donc à comptabiliser le nombre de ruptures définitives de mariages prononcées par le juge, selon l’année d’étude, étant donné que la répudiation est une pratique qui échappe au décompte des données, souligne Fatou Binetou Dial.

« Le contexte social ne permet pas de recenser les populations divorcées qui s'avèrent être très mobiles. Une fois qu’une femme divorce, elle retourne dans la maison de ses parents ou encore quitte le pays », détaille la sociologue. 

Au Sénégal, « le divorce est une mention marginale qui est inscrite sur le registre de mariage et sur le registre de naissance », relève Khadidiatou Thiam, statisticienne et spécialiste en suivi évaluation à la direction de l'état civil. En effet, une fois le divorce prononcé, il doit faire l’objet d’une transcription à l'état civil. De plus, après le jugement définitif du divorce, l’un des ex-époux, les ayants droit ou encore les autorités administratives ou judiciaires peuvent saisir l’état civil, notamment pour l'obtention d'un certificat de divorce. « Mais ces  procédures ne sont pas toujours respectées », se désole la statisticienne.

Le Code de la famille précise, en son article 40, que « l’officier de l’état civil est tenu, à la fin de chaque trimestre, d’adresser au service des statistiques un état des naissances, des mariages, des divorces, des décès et des enfants sans vie inscrits au cours du trimestre ». Mais à la direction de l'état civil, les statistiques sur le divorce sont inexistantes. « Le Sénégal ne dispose pas, à ce jour, d’un système d’enregistrement et de production des statistiques de l’état civil », confirme Khadidiatou Thiam.

« A ce jour, des bases de données sur l’enregistrement des naissances, des mariages et des décès au niveau de 596 centres d’état civil sont disponibles pour les années 2014-2020. De plus, les missions ont révélé que la collecte de données sur l’état civil est presque inexistante au niveau des communes », indique-t-elle. Quant aux données sur les divorces, elles ne sont tout simplement pas disponibles au niveau des centres d’état civil, « du fait que les jugements rendus ne sont pas, pour la majorité, transmis à l’officier d’état civil et sont donc non enregistrés ».

Pour Khadidiatou Thiam, l’insuffisance de ressources humaines, de matériels et d’outils adaptés, mais aussi l’absence d’une bonne coordination et d’une bonne gouvernance des acteurs constituent, entre autres, les principaux facteurs qui plombent la mise en œuvre d’un système d’enregistrement des faits d’état civil au Sénégal.

Pas d’archivage dans les tribunaux d’instance

C’est au tribunal d’instance de Dakar que sont prononcés les divorces dans le département de Dakar. Mamadou Diouf, greffier dans ledit tribunal informe que la manière la plus fiable d’avoir des statistiques sur le divorce au Sénégal est de consulter les données des différents tribunaux d’instance du pays.

Seulement, il n’y a pas de numérisation de ces données, souligne-t-il. En effet, au tribunal d’instance de Dakar, les divorces sont consignés dans un registre, appelé répertoire. Celui que nous avons trouvé sur place, et dont les premières pages sont déchirées, concerne les années 2020 et 2021. 

« Il n’y a pas de copie de ce registre. Une page déchirée est une page perdue, avec les données qu’elle contient; à moins que les personnes dont les informations se trouvent dans les parties déchirées ne se présentent au tribunal avec leur papier de divorce », se désole Mamadou Diouf.

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