Retour sur Africa Check
Africa Check

Dix ans d'Africa Check : autour d'un café, la graine d'un réseau africain de fact-checking

L'idée du projet, discutée dans un café parisien, s'est heurtée à des résistances car elle paraissait trop ambitieuse. Dix ans plus tard, Africa Check a atteint ses audacieux objectifs de départ.

L'une de mes réunions les plus importantes en 33 ans de carrière à l'Agence France-Presse (AFP) a eu lieu autour d'un café à Paris, en France, en 2011, avec mon collègue et ami Peter Cunliffe-Jones.

J'étais alors directeur de la Fondation AFP créée quatre ans plus tôt pour offrir des formations aux journalistes des pays en développement en mettant l'accent sur le reportage éthique. 

Google avait lancé un appel à candidatures pour un concours de projets innovants dans le domaine du journalisme. Il n'avait donné que peu d'informations aux potentiels candidats. Il avait simplement indiqué que la subvention s'élèverait à 2,7 millions de dollars américains (soit, à l'époque, moins de 2,03 millions d'euros ou près de 1,3 milliard de francs CFA [FCFA]), sans préciser comment cette somme serait divisée. 

J'ai invité une demi-douzaine de collègues à une réunion à Paris pour trouver des idées. L'un d'eux était un expert en médias sociaux ; un autre connaissait bien l'internet ; un troisième, le droit des médias...

Peter, qui travaillait au bureau de l'AFP à Londres, au Royaume-Uni, et gérait le service en ligne en anglais de l'agence, est arrivé avec une proposition sur mesure dans sa poche. Il nous a suggéré de demander à Google de financer la création d'un site web de vérification des faits qui serait basé en Afrique.

À l'époque, très peu de gens avaient entendu parler de la vérification des faits. Il n'existait qu'une demi-douzaine de sites dans le monde : la plupart en Europe ou aux États-Unis, un en Argentine et un autre en Inde.

Alors que Peter exposait sa proposition, nos collègues, assis, secouaient la tête. La vérification des faits n'est pas le rôle d'une agence de presse, a dit l'un d'eux. Et si un gouvernement africain n'aimait pas ce que nous faisions et nous poursuivait pour diffamation ?, a demandé un autre. Avons-nous les ressources nécessaires pour créer un site web ? Qu'en est-il de la réputation de l'AFP si nous nous trompions ? Personne n'a soutenu l'idée de Peter.

Peter et moi avons traversé la rue pour poursuivre la discussion entre nous dans un café. Son plan était que le nouveau site web serait lancé par l'AFP mais fonctionnerait indépendamment de l'agence. Il serait géré et édité en Afrique par des Africains. C'était important en soi. En outre, cela mettrait l'AFP à l'abri de l'opposition que la direction craignait.  

Proposition « trop ambitieuse »

Il m'a convaincu et, quelques jours plus tard, nous avons soumis une proposition à Google. Nous voulions faire cela à l'échelle du continent. Sans directives pour nous aider, nous avons décidé de demander 15 % de la somme totale du prix, soit 405 000 dollars (alors moins de 304 000 euros / plus de 194,5 millions de FCFA), pour mettre en place et gérer le site web pendant deux ans dans quatre pays.

Deux mois plus tard, notre proposition a été rejetée. Elle était trop ambitieuse. Les représentants de Google à Londres ont indiqué aimer notre idée. Ils nous ont encouragés à la soumettre à nouveau, avec un budget moins élevé, aux organisateurs du concours, l'Institut international de la presse (IPI, pour International Press Institute) basé à Vienne, en Autriche.

Peter a reformulé la proposition pour ne couvrir que l'Afrique du Sud (au lieu de quatre pays, donc) et seulement en anglais (renonçant au français comme deuxième langue de travail, donc), depuis Johannesburg. Nous avons réduit le budget à 70 000 dollars (alors moins de 53 000 euros / moins de 34 millions de FCFA). L'AFP couvrirait le salaire de Peter pour gérer le projet, et tous les fonds seraient destinés à soutenir le projet. À notre deuxième tentative, l'IPI nous a donné son feu vert... pour 58 000 dollars (alors moins de 44 000 euros / moins de 28 millions de FCFA). 

Le travail à peine commencé que la construction du site web était partie pour absorber la majeure partie des fonds. Comment allions-nous installer un bureau et embaucher du personnel à Johannesburg ?

Heureusement, lors d'une précédente visite en Afrique du Sud, j'avais rencontré Anton Harber, professeur de journalisme à l'Université du Witwatersrand à Johannesburg, plus couramment appelée Université Wits ou Wits tout court. Il était très enthousiaste. Et Wits nous a généreusement offert des bureaux pour la petite équipe recrutée par Peter.

Grâce à nos premiers rédacteurs, Ruth Becker et Julian Rademeyer, Africa Check a rapidement acquis par son travail une réputation d'honnêteté, de rigueur et d'impartialité. Un de nos plus grands moments de fierté a été lorsqu'un porte-parole du Congrès national africain (ANC, pour African National Congress), le parti au pouvoir en Afrique du Sud, a déclaré lors d'une conférence de presse : « Avec Africa Check qui me surveille, je dois maintenant faire attention à ce que je dis ».

Entre-temps, Peter s'est découvert un talent extraordinaire pour la collecte de fonds, ce qui a permis à Africa Check de survivre pendant ses premières années.

(Lire : Dix ans d'Africa Check : un bref historique)

Robert Holloway, aujourd'hui à la retraite, a été le directeur ayant lancé la Fondation AFP, l'organe de développement des médias à but non lucratif de l'Agence France-Presse (AFP). Il a également été membre du Conseil d'administration d'Africa Check.

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