Les élections générales de 2023 au Nigeria sont prévues ce 25 février 2023. Les électeurs sont appelés à choisir un président et les députés de l'Assemblée nationale. Deux semaines plus tard, ils devront aussi élire les gouverneurs et les Assemblées des États.
Durant la campagne électorale, des fausses affirmations politiques ont prévalu affectant les candidats, les partis et le processus électoral.
Ces élections sont considérées comme les plus importantes de l'histoire démocratique du Nigeria. Au cours des derniers mois, Africa Check a vérifié de nombreuses informations - essentiellement en anglais - relatives à la campagne électorale qui a précédé ces élections.
Dans cet article, nous mettons en exergue dix tendances en matière de désinformation électorale - de fausses informations diffusées délibérément - identifiées dans nos articles. Africa Check a également contribué à exposer cette désinformation en tant que membre de la Nigerian Fact-checkers' Coalition (Coalition des fact-checkers nigérians).
Les principaux candidats favoris à l’élection présidentielle sont :
- Bola Tinubu, du parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC, Congrès des progressistes)
- Atiku Abubakar du People's Democratic Party (PDP, Parti démocratique populaire)
- Peter Obi, du Labour Party (LP, Parti travailliste)
- Rabiu Kwankwaso du New Nigeria People's Party (NNPP, Nouveau parti populaire du Nigeria)
1. Qui a dit quoi ? De fausses déclarations attribuées à des politiciens
Une de ces tendances est celle de fausses citations attribuées à des hommes politiques et à d'anciens présidents.
L'une des personnes à qui ces fausses citations sont le plus souvent attribuées est l'ancien président Olusegun Obasanjo. Bien connu pour son intervention dans le débat public, notamment par la rédaction de lettres ouvertes sur l'état de la nation. Obasanjo a gouverné le Nigeria de 1999 à 2007.
De nombreuses citations attribuées à Obasanjo concernent Peter Obi, du Parti travailliste, qu'il a soutenu en janvier 2023.
Des mois avant ce soutien, des fausses déclarations attribuées à Obasanjo ont fait le tour du web. L’une d'elles rapporte que l'ancien président nigérian se porte garant de l'intégrité d'Obi. Dans une autre, Obasanjo est censé avoir affirmé que l'accession d'Obi à la présidence réduirait la violence et l'insécurité au Nigeria.
Obasanjo a également été cité à tort comme ayant déclaré que les Nigérians devraient s'armer de fusils si les élections devenaient violentes.
Une autre cible très connue est l’écrivain nigérian Wole Soyinka, lauréat du prix Nobel de littérature en 1986. Une fausse citation prétend que Soyinka soutient Rabiu Kwankwaso, le candidat du NNPP.
Atiku Abubakar du PDP, n'a pas été épargné non plus. Une fausse citation lui fait dire : « Peter Obi me donne des soucis, je ne peux même plus battre campagne dans le sud-est parce qu'il a pris le dessus ». Il n'y a aucune preuve qu'Abubakar ait dit cela. Et il a bel et bien fait campagne dans le sud-est, région considérée comme un bastion de Peter Obi.
Le ministre de l'Information, Lai Mohammed, a aussi été la cible de fausses citations. Il aurait notamment déclaré que Peter Obi était le « cerveau des manifestations #ENDSARS » qui ont secoué le Nigeria en 2020. Ce que le ministre a démenti.
2. Fausses affirmations sur la taille des foules
La taille de la foule qu'un candidat peut attirer est souvent une source de débats.
Comme lors des élections précédentes, les candidats et leurs partisans ont comparé les affluences lors de leurs différents rassemblements. L'idée mise en avant dans cet argumentaire est que le candidat qui attire le plus de monde a le plus de chances de remporter l'élection.
Ce point de vue, que l'on retrouve ailleurs en Afrique, est tellement répandu que des universitaires s’y sont intéressés. Il a également conduit à la mise en place d'outils permettant d'estimer la taille des foules.
Au Nigeria, des photos de foules n’ayant aucun rapport avec les événements rapportés sont fréquemment publiées pour illustrer des campagnes en cours.
Des photos de foules immenses datant de 2019 ont, par exemple, été postées en prétendant à tort qu'elles montraient la visite d'Atiku Abubakar en août 2022 à Kano, un État du nord du Nigéria considéré comme un "swing State", terme anglais signifiant "un État clé et charnière" dans la course à la présidentielle.
De même, les légendes de photos montrant des foules peuvent être fausses et les politiciens "louent des foules" pour donner une fausse impression de leur popularité. C'est ce qu'a expliqué à Africa Check Kamilu Fage, professeur de sciences politiques à l'Université Bayero dans l'État de Kano au Nigeria.
La mésinformation, c'est-à-dire les fausses informations diffusées de façon involontaire, et la désinformation (qui désigne les fausses informations publiées dans un but précis), sont monnaie courante dans la politique nigériane, a déclaré M. Fage.
« Avec ces grandes foules, ils font croire à leurs partisans qu'ils vont gagner l'élection », a-t-il ajouté.
« Lorsque le résultat de l'élection montre le contraire, ils prétendent que l'élection a été manipulée et cela finit souvent par une crise. »
3. Réalisations trompeuses attribuées aux candidats
Trois des quatre candidats à l'élection présidentielle sont d'anciens gouverneurs d'État. Bola Tinubu, du Congrès des progressistes, a été gouverneur de l'État de Lagos. Peter Obi, du Parti travailliste, a gouverné l'État d'Anambra. Rabiu Kwankwaso du Nouveau parti populaire du Nigeria a dirigé l'État de Kano.
Afin d'étoffer leurs références, certains des candidats et leurs camps ont revendiqué des réalisations en tant que gouverneurs. Dans ce cadre, certaines affirmations se sont révélées fausses ou trompeuses.
Par exemple, Rabiu Kwankwaso et ses partisans ont affirmé qu'au cours de ses deux mandats de gouverneur, il n'avait pas emprunté un centime. Il a également affirmé avoir remboursé toute la dette de l'État de Kano. Nous avons conclu que ces deux affirmations sont incorrectes.
Les partisans de Bola Tinubu ont également exagéré sa contribution à la croissance financière de l'État de Lagos, le centre économique du pays.
4. Des soutiens fictifs
Des partisans ont souvent fait circuler des photos et des vidéos de personnalités du monde entier semblant soutenir leurs candidats.
Les partisans de Peter Obi ont été particulièrement actifs dans ce domaine, ce qui n'est peut-être pas surprenant étant donné leur jeunesse. Nous avons débusqué plusieurs faux soutiens au candidat du Parti travailliste.
Peter Obi aurait reçu le soutien des milliardaires américains Elon Musk et Larry Ellisson, du comédien américain Steve Harvey, du footballeur égyptien Mohammed Salah, de l'acteur hollywoodien Tom Hanks, du président ghanéen Nana Akufo-Addo et du gouvernement chinois.
Fin 2022, une vidéo manipulée censée montrer une foule de stars hollywoodiennes faisant campagne pour Peter Obi a fait le tour des médias sociaux. Nous avons aussi vérifié un faux soutien à Bola Tinubu. Dès janvier 2020, une photo manipulée du footballeur nigérian Mikel Obi censé soutenir Bola Tinubu pour la présidence en 2023 a circulé en ligne.
En décembre 2022, une autre photo virale montrait une rencontre entre Bola Tinubu et le président américain Joe Biden. L'affirmation qui a été faite donnait à croire que le gouvernement américain avait reconnu Tinubu comme le prochain président du Nigeria, ce qui aurait été une bonne publicité pour lui, car son séjour aux États-Unis a souvent attiré beaucoup d’attention.
Les faux soutiens sont une autre façon pour les politiciens de tromper les gens, a estimé Kamilu Fage.
« Ils rendent visite à des personnalités, font circuler des photos de la visite et prétendent ensuite qu'il s'agit d'un soutien. Si la personnalité se tait, le prétendu soutien est considéré comme réel et certains électeurs peuvent alors voter pour ce candidat », a souligné Fage.
5. Vidéos manipulées et photos trompeuses
Les photos et vidéos manipulées sont une autre tendance de la désinformation.
Dans la séries d'exemples de stars de Hollywood censées soutenir Peter Obi, cette vidéo montrait des dizaines d'acteurs américains et britanniques célèbres affichant des cartes blanches avec l'inscription : « Oui. Il est logique de voter pour Peter Obi en 2023 ».
Il s'agissait en réalité d'une combinaison de plus de 20 épisodes numériquement manipulés de la série d’interviews réalisées via un système d’auto-complétion du magazine américain Wired.
Le prétendu soutien d'Elon Musk à Peter Obi est une vidéo créée par une application d'intelligence artificielle. Elle permet aux utilisateurs de faire dire à Musk ce qu'ils veulent.
Un autre exemple est une photo manipulée supposée montrer Bola Tinubu, à bord d'un avion, en train de regarder son rival Peter Obi à la télévision.
Sur la photo originale, publiée sur Twitter par un groupe de soutien à Bola Tinubu, le candidat du All Progressives Congress regarde par le hublot de l'avion alors qu'il rentrait au Nigeria en octobre 2022. L'écran en face de lui est éteint.
De manière générale, le montage ou la manipulation numérique est monnaie courante, car il est « facile d’accès » : les compétences et l'équipement nécessaires sont souvent facilement disponibles.
6. Robots et trolls sur Twitter
Des robots et des trolls sur Twitter ont également contribué à diffuser de fausses affirmations ainsi que des hashtags sur les candidats et leurs partisans.
Rosemary Ajayi est responsable de l'Africa Digital Research Lab (Laboratoire de recherche numérique en Afrique, en français), un organisme à but non lucratif qui étudie des questions telles que l'utilisation abusive des médias sociaux.
Plusieurs techniques de désinformation ont été utilisées pendant la période précédant l’élection, nous a-t-elle dit. Mais, il était soit trop difficile, soit trop tôt pour mesurer leur impact.
Des comptes de médias sociaux automatisés ont aussi été utilisés. Mais les activités des trolls et des influenceurs engagés sont plus inquiétantes, selon Mme Ajayi.
« Nous avons recueilli des preuves d'un comportement inauthentique coordonné sur les médias sociaux, généralement autour des tendances. Les influenceurs et leurs nombreux comptes connexes distillent des affirmations », a-t-elle relevé.
7. Activités des influenceurs en ligne
Les influenceurs sur internet - des personnes capables d'influencer la compréhension des grandes questions publiques - sont des acteurs majeurs de plusieurs tendances de désinformation à l'approche de l’élection présidentielle de 2023 au Nigeria. Certains ont systématiquement promu leurs candidats au détriment des autres. D'autres ont saisi toutes les occasions d'attaquer les candidats adverses, en utilisant parfois de fausses informations.
Le travail des influenceurs était plus complexe durant cette élection par rapport à 2015 et à 2019, a commenté Dr Theresa Amobi, maître de conférences au département de communication de masse de l'Université de Lagos.
Selon Dr Amobi, « comme cette élection présidentielle compte plus de deux candidats principaux, les influenceurs se sont engagés sur plusieurs fronts, contrairement à 2015, où il n'y avait que le Parti démocratique populaire et le Congrès des progressistes ».
« Les politiciens font recours à ces influenceurs pour diffuser de fausses informations sur les médias sociaux afin de se promouvoir et de décrédibiliser leurs adversaires. Malheureusement, ils y parviennent dans une certaine mesure, car peu de gens sont suffisamment éduqués aux médias pour faire une analyse critique de ces choses et repérer la désinformation.», de l’avis de Dr Amobi.
À cela, Rosemary Ajayi ajoute que certains influenceurs soudoient d'autres utilisateurs de médias sociaux pour qu'ils utilisent certains hashtags. « Et cela n'est pas caché. Ils promettent ouvertement de donner de l'argent à quiconque utilise les hashtags qu'ils veulent voir devenir une tendance. »
8. Sites d'information douteux et partisans, faux comptes de réseaux sociaux
La campagne électorale au Nigeria a été marquée par l'émergence de faux sites web d'information et de blogs utilisés par différents camps pour publier des informations - parfois fausses - pour servir leurs campagnes.
Certains de ces sites d'information moins connus sont souvent mis en avant par les porte-parole des candidats à l'élection présidentielle. Ces sites web proposent généralement des reportages faisant la promotion du parti, plusieurs d'entre eux faisant des affirmations fausses et non fondées sur leurs adversaires.
Sur les médias sociaux, en particulier sur Twitter, de faux comptes ont partagé de fausses informations en se faisant passer pour des personnalités politiques.
En août 2022, le colistier de Peter Obi, Yusuf Datti Baba-Ahmed, a organisé une conférence de presse pour se plaindre des comptes de médias sociaux diffusant de fausses informations en son nom. Des mois plus tard, il existe toujours de multiples comptes Twitter portant ce nom. Nous en avons trouvé au moins 21 en janvier 2023, certains d'entre eux prétendant être son compte officiel. Certains ont depuis ajouté « compte parodique » ou « compte affilié » à leur bio.
9. Ciblage des groupes ethniques et religieux
L'ethnicité et la religion sont deux facteurs décisifs dans la politique nigériane. Ils influencent la plupart des décisions politiques, principalement en raison de la population et de la géographie du pays.
Le Nigeria compte environ 250 groupes ethniques. Le nord du pays est majoritairement musulman, tandis que le sud est essentiellement chrétien, ces populations étant à peu près égales.
Depuis l'accession du pays à l’indépendance en 1960, les dirigeants politiques nigérians ont souvent négocié le pouvoir politique en fonction de l'ethnie et de la religion. Et l’on s’attend à ce que la présidence passe à tour de rôle, du nord au sud et vice versa, donc des musulmans aux chrétiens et vice versa.
Plus que tout autre scrutin, depuis le retour de la démocratie en 1999, l'ethnicité et la religion jouent un rôle majeur dans cette élection. Cela se reflète dans le type d'informations partagées.
« Nous avons par ailleurs constaté des informations ciblant l’ethnicité. Je pense que cela est lié à l'accord non écrit de rotation du pouvoir entre le nord et le sud et au fait qu'une personne du sud-est, Peter Obi, est un favori dans cette élection », a expliqué Rosemary Ajayi.
Dr Theresa Amobi, dont les recherches récentes ont porté sur la désinformation et les fausses informations, a également noté qu'une grande partie des fausses informations récentes liées aux élections concernaient l'ethnicité.
De même, une grande partie de la désinformation a porté sur la religion, en partie alimentée par la crainte de l'impact du soutien des votants de l'APC sur la base de la foi musulmane. Le candidat de l'APC, Bola Tinubu, et son colistier, Kashim Shettima, sont tous deux musulmans.
10. Canulars et arnaques
Une autre tendance consiste à affirmer que les partis politiques et leurs candidats donnent de l'argent et d'autres cadeaux à leurs partisans. Ces affirmations circulent souvent dans des SMS ou des messages WhatsApp.
Un exemple est l'affirmation selon laquelle Atiku Abubakar du Parti démocratique populaire, donnera 85 000 Nairas (114 308 francs CFA) à chacun de ses partisans. Un numéro de téléphone a été indiqué afin que les gens puissent appeler pour obtenir le cadeau.
Un autre message affirme qu'Abubakar distribue des bons d'appel téléphonique de 5 000 N (6 700 francs CFA) et 10 Go de données mobiles. Il inclut plusieurs liens Internet et encourage les utilisateurs de Facebook à cliquer dessus et à les partager avec leurs amis.
De nombreux électeurs potentiels tombent dans le piège de ces escroqueries, qui affectent à la fois leur portefeuille et leur perception des questions politiques.
Comment la désinformation pourrait affecter la présidentielle de 2023
La désinformation fait partie d'un processus de trucage que les politiciens nigérians ont perfectionné, de l’avis de Kamilu Fage, professeur de sciences politiques à l'Université Bayero de Kano.
« L'utilisation de la désinformation fonctionne parfois pour eux, lorsqu'ils réussissent à tromper de nombreuses personnes pour qu'elles votent pour en leur faveur. Elle se retourne contre eux dans d'autres circonstances ».
« Cependant, poursuit Kamilu Fage, la désinformation liée aux élections est dangereuse, car si les partisans jugent d'après ce qu'ils voient sur les médias sociaux et concluent qu'un candidat va gagner l'élection, ils peuvent recourir à la violence lorsque ce candidat perd. C'est ce qui explique en partie les violences post-électorales de 2011 qui ont entraîné la mort de nombreuses personnes ».
Contrairement à ce que certains pensent, la désinformation sur les médias sociaux a des conséquences dans la vie réelle, a ajouté Dr Theresa Amobi, maître de conférences au département de communication de masse de l'Université de Lagos.
Elle fait savoir que « certaines personnes pensent à tort qu'une élection ne peut pas être gagnée sur les médias sociaux. La vérité est que l'engagement social en ligne influence les conversations en dehors d’internet. Les personnes sur les médias sociaux, dont certaines sont dans la diaspora, peuvent influencer le comportement de vote de leurs proches dans les zones rurales sans accès à Internet ».
Mme Amobi estime que l'impact le plus important de la désinformation se manifestera sur les électeurs indécis.
« Certaines personnes ont décidé pour qui voter et elles ne changeront pas d’avis, quoi que vous disiez sur leur candidat. Mais les électeurs indécis sont susceptibles d'être influencés par la désinformation, surtout lorsqu'ils y sont exposés en permanence sur une période relativement longue », a-t-elle conclu.
Traduit de l'anglais. Lire la version originale de cet article ici : #NigeriaDecides2023: 10 disinformation trends in election season
Ajouter un commentaire