Sénégal : Comment comprendre les prévisions de croissance de 6,4%
Dans sa traditionnelle adresse à la nation, le 31 décembre 2015, le président sénégalais Macky Sall annonçait des prévisions de croissance de 6,4% pour l’année 2015.
« Les bonnes performances de notre économie se consolident. En effet, les prévisions en fin 2015 situent notre taux de croissance économique à 6,4% », a notamment dit le Président Sall.
Un chiffre auparavant avancé dans la presse par le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, Amadou Ba qui l’expliquait par la « bonne pluviométrie » qu’a connue le Sénégal en 2015.
Une explication encore fournie par le Président Sall, dans son discours. « Au-delà d’une pluviométrie favorable, cette dynamique positive résulte aussi des efforts de mise en œuvre des projets et réformes phares du PSE (Plan Sénégal Emergent) », a-t-il souligné.
Depuis lors, cette partie du discours présidentiel est au cœur des débats. Ses contradicteurs se basent en effet sur une prévision de 5,1% du Fonds monétaire international (FMI) pour justifier leur scepticism. Les conditions sont-elles réunies pour un taux de croissance de 6,4% pour l’économie sénégalaise ?
Le scepticisme des économistes
En plus des opposants politiques, des économistes ont exprimé des doutes sur la fiabilité du chiffre avancé par le Président Sall.
« Si vous regardez bien le pays, l’industrie et l’agriculture n’ont pas connu une révolution suffisamment profonde pour justifier le taux actuel », a déclaré à Africa Check, Cheikh Tidiane Dieye, socio-économiste et directeur exécutif d’Enda-CACID, une ONG basée à Dakar.
« Quand une économie n’est pas capable de réaliser autant de performances sur le long terme, elle ne peut passer d’une année à l’autre à deux points de progression en termes de taux de croissance, c’est impossible », a soutenu le docteur Dièye. Lors de son discours de fin d’année en 2014, le président Sall annonçait en effet un taux de 4,7%.
Pour sa part, le professeur Moustapha Kassé, contacté par Africa Check, a également jugé « étonnant », le chiffre avancé par les autorités sénégalaises. Selon lui, la production de statistiques nationales pose problème du fait de la « dépendance » des agences vis-à-vis des politiques. « Le statisticien doit être indépendant des autorités politiques, afin de produire des chiffres en toute objectivité », a noté l’ancien doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG) de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.
Un chiffre provisoire
« C’est un débat sterile », tranche le docteur Fodiyé Bakary Doucouré, économètre et statisticien, enseignant à la FASEG de l’UCAD.
Il a confié à Africa Check « les prévisions, on peut le revoir à la hausse comme on peut les revoir à la baisse. Il faut que les gens soient un peu patients ». Le FMI parle de 5,1%, quand le taux de croissance sera publié, « on verra qui a raison », a-t-il ajouté.
Le docteur Doucouré a précisé que les prévisions de croissance sont obtenues à partir de « modèles » et que c’est à la Direction de la prévision et des études économiques (DPEE) et l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) de dire sur quel modèle elles ont travaillé.
Il a toutefois précisé que ces structures publient des statistiques fiables. « Il faut qu’on ait des taux élevés sur 4 à 5 ans, pour impacter sur la pauvreté, pour avoir l’émergence. Si c’est un taux de croissance en dents de scie, on n’aura pas l’émergence », a-t-il fait observer.
Selon le docteur Doucouré, le bond de 2 points est « techniquement possible », mais c’est « un peu délicat de dire si c’est vrai ou faux ».
« Une campagne agricole réussie »
Ciré Sy, consultant en géostratégie et géo-économie, qui a travaillé à la DPEE, a confié à la RFM, le samedi 8 janvier 2015, que la prévision initiale de 5,4% faite par la DPEE a été modifiée, en raison des performances de l’agriculture qui a connu une augmentation de 30%, contre 10% initialement prévus.
« Cette année-ci, on a connu une campagne agricole réussie », a affirmé Sy, donnant en exemple l’arachide avec une production estimée à 1,200 million tonnes, le riz qui a augmenté de 64% et le mil de 83%.
Mbaye Awe, professeur d’économie à l’UCAD) de Dakar a expliqué que le taux de 5,1% projeté par le FMI est un résultat provisoire.
La DPEE a fait une projection en novembre 2015, une projection à la hausse, tandis que le FMI a gardé le même chiffre. Il a en outre relevé que les chiffres sur l’économie sont transmis du Sénégal vers les organismes internationaux et qu’il fallait juste que le Sénégal réactualise ses chiffres et les transmette au FMI, pour éviter ce que certains considèrent comme une contradiction.
« Aujourd’hui, il y a de nouvelles informations »
Son analyse est confirmée par Boileau Loko, représentant résidant du FMI au Sénégal qui affirme qu’en vérité, « il n’y a aucune contradiction et il n’y pas d’incohérence entre les deux chiffres ».
« Le taux de 5,1 % qui est dans notre rapport relève d’une estimation qui a été faite avec les autorités quand la mission du FMI venue de Washington était au Sénégal au mois de septembre », a expliqué Boileau Loko.
« Aujourd’hui, il y a de nouvelles informations, notamment sur l’agriculture et les services, qui ont changé la donné. En effet, les services du ministère des Finances, notamment la DPEE et l’ANSD, ont récupéré ces nouvelles données pour voir quel sera leur impact sur la croissance. Donc, sur la base de ces nouvelles informations, l’équipe du FMI, qui va arrive à Dakar vers la fin du mois de janvier 2016, va travailler avec les autorités pour voir quelles sont les nouvelles estimations de croissance pour 2015 et faire de nouvelles projections pour 2016", a-t-il assuré.
Comment comprendre une prévision
Comme l’a expliqué le Docteur Doucouré, une prévision est susceptible d’être corrigée et « revue à la baisse ou à la hausse ». Par conséquent, ce n’est qu’avec la publication du chiffre définitif du taux de croissance, dans les prochains mois, que l’on saura si le chiffre de Macky Sall tient la route.
En attendant, on peut retenir que les prévisions sont toujours provisoires et que chaque institution fait ses projections en fonction d’un modèle bien précis (il y en a beaucoup). Quand le chiffre définitif sera rendu public, chacun pourra en fera l’interprétation qu’il voudra.
Momar Niang est un journaliste diplômé de l'Institut supérieur des sciences de l'information et de la communication (ISSIC) de Dakar. Il collabore avec le site ouestaf.com où il a signé plusieurs articles sur l'économie sénégalaise
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