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Vérification de l’information : le prisonnier, une source fermée au journaliste

Comment vérifier une information quand une des sources pour faire cet «équilibrage» est fermée. Source fermée parce qu’elle est en prison et que la loi ne permet point qu’un journaliste rencontre un détenu pour obtenir auprès de lui des informations destinées à la diffusion à destination d’un public.

Voilà un gros obstacle - un problème tout aussi difficile à contourner – et ce fut le cas lors de la mutinerie survenue le 20 septembre 2016 à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss (un quartier au cœur de Dakar). Autant il était, à l’époque, très aisé d’entendre la version du conflit de la bouche de l’administration pénitentiaire, autant il fut impossible d’entendre cette partie à la crise qu’étaient les détenus révoltés – et de manière violente, d’ailleurs ; puisque un détenu trouva la mort et quatorze autres blessés dans les échauffourées avec les forces de l’ordre.

Mais, voilà que la source, en principe fermée - parce que physiquement et légalement inaccessible - se mit, elle aussi, à parler sur une radio qui a ouvert son antenne aux détenus pour faire entendre autant leur version du conflit que des propos fort irrévérencieux à l’égard du colonel-directeur de l’administration pénitentiaire.

Téléphone portable clandestin


L’explication était que les détenus usaient d’un téléphone mobile introduit de manière clandestine dans leurs cellules (sans doute par l’aide d’un de leurs visiteurs). Et cela fit grand bruit. Les détenus s’en donnèrent à cœur joie, invectivant le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, et le directeur de l’administration pénitentiaire, le colonel Daouda Diop, traités de «bonimenteurs» (sic).

«Nous sommes victimes d'un système judiciaire discriminatoire. D'un côté, il y a les détenus de luxe (…) et de l'autre, il y a l'autre catégorie, dont nous faisons partie. Nous ne pouvons plus accepter cela… », s'indignera un des détenus lors de leur entretien, lui et ses codétenus, avec la radio Zik Fm qui se fit le canal de passage des messages des prisonniers en révolte.

Le procédé était vraiment inédit. Certes, par le passé, des journalistes ont pu entrer en contact avec des détenus et obtenir des informations, par le biais du téléphone clandestin, mais durent user d’astuces dans le traitement des informations obtenues pour ne pas donner à l’autorité la preuve qu’ils ont enfreint la loi en interviewant des «réduits au silence» par la loi.

«Les communications d’un détenu sont autorisées par le juge qui délivre, à cet effet, un permis de communiquer», explique Me Aliou Sow, avocat au barreau de Dakar.

Un porte-parole clandestin


Et il n’y eut pas que le téléphone portable clandestin dans la communication des détenus mutins de Dakar ; ils avaient aussi désigné un porte-parole en la personne d’un célèbre rappeur dakarois, Malal Talla alias « Fou Malade », membre du groupe Y’en a Marre. Et ce dernier a très bien su s’acquitter de la charge en transmettant à la presse et à l’opinion publique l’essentiel des revendications des détenus mutins.

«La justice à elle seule ne peut pas résoudre le problème des détenus au Sénégal », avait déclaré le rappeur porte-parole des détenus mutinés. Si les détenus se révoltent, personne ne pourra les contenir. Nous sommes tous menacés et Sidiki Kaba (le ministre de la Justice, Ndlr) doit démissionner».

User des astuces précautionneuses


Un autre moyen de communiquer du détenu peut être son propre avocat. Pendant son incarcération pour faux-monnayage, le célèbre musicien Thione Seck, a fait passer, par le biais de son avocat, Me Ousmane Sèye, des messages publiés dans la presse. Mais, confie Me Aliou Sow à Africa Check, les informations communiquées, surtout provenant d’un détenu non encore jugé, ne doivent pas gêner l’enquête en cours à son sujet.

Dans tout cela, c’est que le journaliste doit agir avec beaucoup de prudence face à toute information provenant de prison ou concernant cette dernière. Prudence dans le traitement d’une telle information ; en usant des astuces et formules précautionneuses en usage chez les professionnels de l’information.

Par exemple citer « des sources proches des détenus » plutôt que citer les prisonniers eux-mêmes – même si on a recueilli leurs propos. Par des voies que la loi considérerait comme clandestines et/ou illégales.

Jean Meissa Diop est l'ancien directeur de la publication du quotidien Walf Grand-place et ancien rédacteur en chef de Walf Quotidien. Il est actuellement membre du Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA) du Sénégal.

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