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FICHE D'INFO - Ce qu'il faut savoir sur la grâce et l'amnistie

Cet article date de plus de 4 ans

Pour rédiger cette fiche d'info, nous avons sollicité les éclairages du spécialiste du droit pénal, Ndiack Fall, du directeur des affaires criminelles et des grâces, Mandiaye Niang et de l'avocat Me Bamba Cissé.

Qu'est-ce que la grâce présidentielle ?


La grâce présidentielle est une mesure par laquelle le président de la République dispense un condamné de tout ou d’une partie de sa peine, explique le spécialiste du droit pénal Ndiack Fall. Selon le site officiel de l’administration française, Service-Public, la grâce présidentielle « permet au prisonnier qui en fait l’objet d’être libéré avant d’avoir purgé la totalité de sa peine ». Ndiack Fall précise qu’il « s’agit d’un droit discrétionnaire, une prérogative du chef de l’Etat garantie par l’article 47 de la Constitution ».

Qui a droit à la grâce présidentielle ?


Selon Ndiack Fall, toute personne faisant l’objet d’une condamnation définitive au plan pénal peut bénéficier d’une grâce présidentielle. Le juriste précise qu’il y a condamnation définitive, lorsque toutes les voies de recours sont épuisées.

Le directeur des affaires criminelles et des grâces, Mandiaye Niang, précise toutefois que « le code des drogues est le seul texte qui limite les prérogatives du président en exigeant que le condamné ait purgé les 4/5 de sa peine avant de pouvoir être gracié ».

Ndiack Fall souligne par ailleurs qu’il y a des condamnations qui sont exclues de la grâce. Il s’agit « des sursis, des condamnations par contumace et des peines subies (déjà accomplies) ».

Comment obtenir une grâce présidentielle ?


« Il n’y a pas de procédure rigide en ce qui concerne la grâce présidentielle », fait savoir Ndiack Fall. « Elle peut être demandée ou pas », précise-t-il.  C’est-à-dire que le président de la République peut décider d’une mesure de grâce de sa propre initiative et même à l’insu du bénéficiaire. En quelque sorte, l’intervention de la grâce n’est pas subordonnée à la requête du bénéficiaire.

Et dans le cas où celle-ci est sollicitée, le site Service-Public précise que « la demande de grâce peut être formée par la personne condamnée concernée ou par un membre de sa famille, par le procureur ou par toute personne (ami, avocat, élu).

Quand il y a demandes de grâce, souligne Ndiack Fall,  « celles-ci sont centralisées au ministère de la Justice et instruites par la direction des affaires criminelles et des grâces ».

 

Grâce et remise de peine


Le décret accordant la grâce à Khalifa Sall, l’ancien maire de la capitale sénégalaise, Dakar, a suscité des interrogations en raison justement de l’absence du terme « grâce » dans le texte. L’article premier du décret dit :  « Une remise totale des peines principales est accordée aux condamnés définitifs dont les noms suivent ».

Cela a poussé certains à se demander s’il s’agissait vraiment d’une grâce, à cause notamment de l’emploi de l’expression « remise de peines ».

Selon le directeur des affaires criminelles et des grâces, Mandiaye Niang, « le terme grâce est vague et signifie seulement pardon ». « Dans le décret, il faut toujours préciser l'étendue du pardon », souligne-t-il avant d'ajouter « c'est pourquoi la remise totale de peine est une expression nécessaire pour clarifier ce qui est pardonné. La grâce aurait pu par exemple simplement réduire la peine. Ceci arrive souvent avec les condamnés à de longues peines criminelles. Il leur est souvent octroyé des réductions de peines ».

Nous avons consulté un certain nombre de décret de grâce dans lesquels c’est l’expression « remise de peines » qui a été utilisée. Il en est ainsi du Décret n° 2010-1508 du 12 novembre 2010 et du Décret n° 2013-380 du 5 avril 2013.

Il convient toutefois de noter qu’en ce qui concerne la grâce accordée à l’ancien ministre Karim Meïssa Wade et ses deux co-accusés graciés avec lui, Ibrahima Abdoukhalil (Bibo) Bourgi et Alioune Samba Diassé, le décret du Président de la République est intitulé « Décret n°2016-880 portant grâce présidentielle » et l’article premier dit : « la grâce est accordée aux condamnés dont les noms suivent ...».
 

 

Grâce et amnistie : quelle différence ?


Ndiack Fall indique que la grâce et l’amnistie  (prévue par l’article 67 de la Constitution) ont un point commun et trois niveaux de différences.

Le point commun est qu'elles sont  toutes les deux des mesures d’apaisement social, souligne-t-il.

En ce qui concerne les différences, le juriste indique que le premier niveau porte sur les autorités compétentes. « Si la grâce est une prérogative du président de la République, l’amnistie relève du législateur, c'est-à-dire l'Assemblée nationale »,  dit le spécialiste du droit pénal.

L’autre distinction est que la grâce s’applique à la peine alors que l’amnistie s’applique aux faits. En conséquence, si les faits ont été amnistiés avant le déclenchement des poursuites, celles-ci ne pourront plus être engagées. Si l’amnistie intervient après le début des poursuites, celles-ci sont arrêtées. Enfin, si l’amnistie est votée après la condamnation, celle-ci est rétrospectivement effacée.

Le troisième niveau de différence porte sur les effets. La grâce dispense d’une peine mais celle-ci reste inscrite au casier judiciaire. Quant à l’amnistie, « c’est une mesure d’oubli », indique Ndiack Fall qui précise que « la peine prononcée est effacée du casier judiciaire ».

Un exemple de loi d'amnistie récente est la loi dite Ezzan qui dispose que « sont amnistiées, de plein droit, toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation avec les élections générales ou locales ou ayant eu une motivation politique, situées entre le 1er janvier 1983 et le 31 décembre 2004, que les auteurs aient été jugés ou non ». Les personnes condamnées pour l'assassinat de l'ancien vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, survenu le 15 mai 1993, ont ainsi bénéficié de cette amnistie.

Peut-on refuser une grâce présidentielle ?


Selon le directeur des affaires criminelles et des grâces, « la grâce est exercée unilatéralement ». « En pratique on ne peut pas la refuser, puisque l'administration pénitentiaire ne peut détenir quelqu'un sans titre valide. Même si le bénéficiaire refuse la mesure de clémence, on ne peut plus le garder », indique-t-il.  Il fait toutefois noter qu' « en théorie du droit administratif on aurait pu imaginer que celui qui est gracié alors qu'il n'en veut pas, attaque le décret du président de la République ». Mais d'après lui « son action serait jugée irrecevable parce que d'abord le décret relève d'un pouvoir discrétionnaire et ensuite il ne fait pas grief, c'est-à-dire qu'il ne porte pas préjudice à celui qui l'attaque ».

Mandiaye Niang donne l'exemple de la jurisprudence française avec le rejet par le Conseil d'Etat d'un recours d'un soldat qui contestait le décret de grâce commuant sa condamnation à mort en une peine de 20 ans de travaux forcés. Il s'agit de l'affaire Gugel en 1893 dans laquelle le Conseil d'Etat français avait décidé que «les actes accomplis par le chef de l'Etat, dans l'exercice du droit de grâce, ne sont pas susceptibles d'être déférés au Conseil d'Etat par la voie contentieuse».

Il précise d'ailleurs qu'au Sénégal « nous n'avons pas encore de contentieux autour de la contestation d'un décret de grâce ».

«Privilège du préalable » et « exécution forcée »


Pour l'avocat Me Bamba Cissé, même à supposer que le bénéficiaire d'une grâce attaque le décret, celle-ci lui sera malgré tout appliquée sans attendre le verdict, au titre du « privilège du préalable » qui permet à l’administration d’imposer sa volonté à des personnes sans avoir obtenu leur consentement préalable et sans avoir recours à l’autorisation préalable d’un juge.

L'avocat explique également que la grâce étant un acte administratif, si le condamné qui en bénéficie la refuse, il sera sorti de force de la prison en se fondant sur le principe de « l'exécution forcée » qui autorise l'administration à faire recours à la force pour contourner la résistance d'un administré et exécuter la décision.

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