Ces photos ne sont pas liées à la tuerie de civils commise le 20 avril 2023 dans le village de Karma, dans le nord du Burkina Faso

Le 24 avril 2023, la page Facebook C’est le MALI qui gagne a publié deux images prétendant avoir un rapport avec l’attaque du village de Karma, dans le nord du Burkina Faso.

Sur l’attaque de Karma

Ce village situé dans la province du Yatenga a été pris pour cible le jeudi 20 avril 2023 par des hommes portant des tenues de l’armée burkinabè. Au moins 136 personnes y ont été tuées, selon le dernier décompte officiel rendu public le 4 mai 2023, alors que d’autres sources ont fait état d’un bilan plus élevé. Ainsi, le 4 mai 2023, l’organisation non gouvernementale (ONG) de défense des droits humains Human Rights Watch a dénoncé « les exécutions sommaires d’au moins 156 civils par des forces militaires présumées le 20 avril 2023 » à Karma. Le 2 mai 2023, Amnesty International, autre ONG de défense des droits humains, a rapporté 147 personnes tuées dans le même village « dont 45 enfants », se fondant sur des ressortissants de Karma et des témoignages de rescapés de l’attaque.

Avant l’attaque de Karma, le 15 avril 2023, le village d’Aorema, situé également dans le nord du Burkina Faso, à une quarantaine de kilomètres de Karma, avait connu une attaque similaire. Six soldats et trente-quatre volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ont été tués au cours d’une attaque de jihadistes présumés. Les VDP sont des civils regroupés autour d’une structure burkinabè lancée en novembre 2019 par Roch Marc Christian Kaboré, alors président du pays. Kaboré a été renversé le 24 janvier 2022 par l’armée dirigée à l’époque par Paul-Henri Damiba, lequel a aussi subi un putsch le 30 septembre de la même année par des militaires sous la direction du capitaine Ibrahim Traoré, actuel président du pays. Les VDP sont des supplétifs civils de l’armée qui ont été mis sur pied après le massacre, dans l’est du Burkina Faso, d'un convoi minier le 6 novembre 2019 qui a fait 38 morts. Les VDP ont pour travail de contrer ceux qui aident et informent des djihadistes localement, informe un article du média français TV5 Monde.

Que dit la publication de C’est le MALI qui gagne ?

« Des dizaines de morts dans une attaque au Burkina Faso près de la frontière avec le Mali et une soixantaine de civils ont été tués dans un village du nord du Burkina Faso, selon le procureur local qui a annoncé une enquête sur l'attaque », a écrit C’est le MALI qui gagne dans son message publié le 24 avril 2023, assorti de deux photos.

À propos de la page

Cette page créée le 8 février 2021 sous le nom Xcbcbx, avant d’être rebaptisée C'est le MALI qui gagne le 26 août 2022. Elle est gérée depuis la Belgique, l’Égypte et les États-Unis, comme l'indique la transparence. Elle se présente comme une page de publicité et de marketing. Elle était suivie par quelque 10 000 individus ou comptes (« followers ») au 28 mai 2023.

Première photo : image d’un exercice militaire de l’armée française de 2017 

La recherche inversée d’images à partir du logiciel TinEye nous permet d’obtenir plus de détails sur les deux images accompagnant le message de la page Facebook que nous vérifions.

La première image, où l’on voit un hélicoptère et des hommes armés, apparaît dans un article publié le 16 janvier 2018 par le service web de Radio France internationale (RFI).

D’après la légende de la photo, elle provient d’archives d’exercices militaires au Burkina Faso. Elle a été prise par Olivier Fourt, travaillant pour RFI à l'époque. La date exacte du cliché n’a pas été précisée.

Une recherche plus poussée sur la même photo la fait apparaître avec une indication plus précise le 29 janvier 2023 dans le texte de présentation d’une chronique sur les questions militaires et de sécurité, « Lignes de défense ». La légende évoque « des soldats de l'opération Sabre en exercice, au Burkina Faso », toujours sous la signature d’Olivier Fourt.

Dans un article mis en ligne le 14 février 2023, le journal français Libération explique que Sabre désigne les forces spéciales françaises qui « étaient installées depuis 2010 près de Ouagadougou », la capitale burkinabè, « d’où elles menaient des opérations militaires ciblées au Sahel ». Elle est parfois appelée « mission Sabre », parfois « Task Force Sabre » (ou TF-Sabre). D’après Libération, elle était « déployée au Sahel depuis 2009 » et avant d’être basée en 2010 à Kamboinsin (autres orthographes : Kamboinsé, Kamboincé, Kanboensé, Komboinsé), près de la capitale burkinabè, elle était à Atar, dans la région de l’Adrar, en Mauritanie, en 2009. L’armée burkinabè a annoncé le 19 février 2023 « la fin officielle de la présence de la force française Sabre », a rapporté la chaîne publique française France Télévisions dans un article publié le 20 février 2023.

En affinant la recherche, nous avons pu remonter à un article multimédia de RFI sur un exercice de membres de Sabre mis en ligne le 14 décembre 2017, le texte et les images étant signés d’Olivier Fourt. La première photo utilisée par C’est le MALI qui gagne dans sa publication du 24 avril 2023 apparaît en vignette sur la vidéo. Ce film est un montage fait de photos et sonores du journaliste ayant « pu suivre une partie de missions des commandos de la TF-Sabre » au Burkina Faso et au Mali.

Deuxième image : photo d’une opération militaire franco-africaine de novembre 2019

Quant à la seconde image publiée par C'est le MALI qui gagne, elle montre un individu de dos, en uniforme militaire, casque et gilet pare-balles, arme de guerre au poing. Sur sa manche gauche, nous pouvons voir un écusson représentant un drapeau français. Sur un uniforme militaire, l’écusson, ou « drapeau de manque » ou encore « patch », est souvent le drapeau du ou de la propriétaire de la tenue. Il peut représenter aussi le symbole ou le signe de son unité, de sa brigade, de son régiment, de sa division. Le militaire sur la photo est dans un environnement de type sahélien, avec des tiges sèches éparses et, dans le décor, une case au toit de paille.

Cette photo figure dans la banque d’illustrations en ligne Alamy sous la référence 2K78JAY. D’après la légende, elle montre des « soldats français de l'opération Barkhane » au Sahel. Elle a été prise le 7 novembre 2019 par le photographe français Philippe de Poulpiquet et a été ajoutée au catalogue d’Alamy par l’agence de presse photographique MAXPPP. Aucun détail supplémentaire n’a été fourni par Alamy, notamment sur le lieu précis de la photo.

Barkhane est une opération militaire française contre les groupes armés djihadiste au Sahara et au Sahel, qui a été menée d’août 2014 à novembre 2022 en « partenariat » avec d‘autres structures et institutions dont celle regroupant cinq pays du Sahel (G5 Sahel : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad), indique le ministère français des Armées (Défense) sur son site. Barkhane avait pris le relais d’une autre opération militaire française contre les groupes djihadiste, Serval, menée de 2013 à 2014 et qui concernait exclusivement le Mali, d’après la même source.

Nos recherches nous ont permis de lier cette photo à une série d’images réalisées le 7 novembre 2019 près de Tofagala, au Burkina Faso par le même auteur, Philippe de Poulpiquet. Ces photos ont été publiées notamment dans un article mis en ligne le 10 janvier 2021 par le journal régional français Le Télégramme et un texte publié le 27 avril 2021 par le quotidien français Le Parisien.

Dans les légendes, il est mentionné « un groupe du bataillon de chasseurs à pied » traquant des « groupes armés terroristes (GAT) dans leur sanctuaire, près de la forêt de Tofagala, au Burkina Faso », en novembre 2019.

La forêt de Tofagala est située dans la province du Gourma, dans l’est du Burkina Faso.

Selon des archives du ministère français des Armées, il s’agissait d’une opération baptisée « Bourgou 4 », menée par la force Barkhane avec « la force conjointe G5 Sahel, les forces armées burkinabè et maliennes ».

Article rédigé par Arnord Faysal Boukary, avec des contributions de Dieynaba Thiombane et Coumba Sylla.