EN BREF - Une vidéo macabre d’exécutions en public est présentée notamment sur Facebook et WhatsApp comme étant la décapitation de trois Nigérians appréhendés pour trafic de drogue en Arabie saoudite en avril 2023. C’est en réalité une séquence plus ancienne, elle pourrait remonter à 2014 au moins.
AVERTISSEMENT AU PUBLIC - Cet article contient des images et des descriptions d’une violence extrême. Il ne convient pas à un jeune public et à un public non averti. Il pourrait heurter certaines sensibilités. Nous vous recommandons de réfléchir attentivement avant de choisir de lire ce texte, et surtout d’en regarder les images.
Le 2 mai 2023, un internaute identifié comme Abdoul Karim Jalloh, a partagé sur Facebook une courte vidéo (un « reel ») présentée comme un extrait de la décapitation de Nigérians en Arabie saoudite. Selon cet internaute, mentionnant Conakry comme lieu de résidence, mais localisé à Denver, dans l’État de Colorado, aux États-Unis d’Amérique, par le numéro de téléphone fourni à Facebook, il s’agissait de pèlerins impliqués dans un trafic de drogue.
Peine de mort légale en Arabie saoudite, taux d’exécutions capitales « parmi les plus élevés au monde »
L’Arabie saoudite, au Moyen-Orient, est une monarchie - elle est dirigée par un roi. Son nom officiel est le Royaume d’Arabie saoudite et sa capitale est Riyad. Ce pays, qui a pour religion d’État l’islam, abrite les deux plus grands lieux saints de cette religion à La Mecque et à Médine. Selon l’Autorité saoudienne du Tourisme, « seuls les musulmans peuvent accéder à la ville de La Mecque », située dans la province du même nom. Des millions de fidèles y convergent chaque année l’oumra (ou omra), un petit pèlerinage qui peut s’effectuer à tout moment, et pour le hajj (ou hadj), le grand pèlerinage et un des piliers de l’islam. L’Autorité saoudienne du Tourisme rappelle que le hajj est « un devoir religieux que chaque musulman se doit de faire au moins une fois dans sa vie s'il en a les moyens ». Le grand pèlerinage se déroule pendant le dernier mois du calendrier islamique ou « Dhou al-hijja », basé sur la lune.
Le royaume saoudien est également connu pour appliquer la peine de mort, une sanction qui y est légale et repose sur la charia, la loi islamique. « L’Arabie saoudite, qui a l’un des taux d’exécutions les plus élevés au monde, a généralement recours à la décapitation » pour appliquer les peines capitales, a rapporté le journal français Le Parisien dans un article publié le 12 mars 2022. « L’homicide, le viol, les attaques à main armée, la sorcellerie, l’adultère, la sodomie, l’homosexualité et l’apostasie y sont passibles de la peine capitale », est-il expliqué dans le même article.
Ce que montre et dit le court extrait vidéo partagé par l’internaute Abdoul Karim Jalloh
Les images de la vidéo courte publiée le 2 mai 2023 par Abdoul Karim Jalloh sur sa page Facebook sont floues et semblent avoir été filmées en catimini, mais cela n’entame pas leur degré élevé de violence. Elles montrent trois hommes agenouillés, les yeux bandés et les mains ligotées dans le dos, sur une sorte d’estrade, faisant face à une assistance composée de plusieurs personnes. Un homme habillé en blanc, foulard saoudien sur la tête, s’avance vers eux, parmi d’autres similairement vêtus. C’est un bourreau. Il tient dans sa main droite un sabre avec lequel il décapite un des hommes à genoux.
Cette arme à longue lame, ne tranchant que d’un côté, est « utilisée pour les exécutions qui se déroulent en public dans le royaume saoudien », selon un article sur un évènement similaire publié le 18 janvier 2015 par le site du diffuseur public français France Télévisions.
Le bourreau essuie son sabre avant de trancher la tête du deuxième. Dans l’extrait, nous pouvons entendre des cris d’effroi dans l’assistance.
« Les autorités saoudiennes ont tranché les têtes des pèlerins (tous nigérians) qui avaient transporté de la drogue en Arabie saoudite, à la place publique le 20/04/2023 », pouvons-nous lire dans la légende de cette publication macabre.
La vidéo a circulé de manière virale sur WhatsApp au Sénégal. Elle a été également diffusée par d’autres utilisateurs de Facebook (1, 2, 3, 4).

Triple décapitation évoquée par plusieurs médias en novembre 2015
La recherche inversée d’images à partir du logiciel Small Seo Tools nous a permis de remonter à un film bien plus ancien.
Une capture d’écran de la sinistre vidéo que nous vérifions est visible dans un article publié le 8 novembre 2015 par le quotidien régional français L'Est Républicain. Le texte parle de la décapitation au sabre de trois Iraniens en Arabie saoudite. Ils y avaient été condamnés « pour trafic de drogue » puis exécutés à Damman, dans la province d’Ach-Charqiya (ou Ash Sharqiyah), dans l’est du pays). Selon le même article, citant le ministère saoudien de l’Intérieur, les trois hommes avaient « tenté d’introduire en Arabie saoudite ‘une grande quantité de haschich’ ». La vidéo a été « tournée illégalement par un touriste » puis « diffusée par un activiste saoudien installé en Allemagne », d’après le quotidien français citant Middle East Eye, un site d'information spécialisé sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Cette même information est rapportée également le 8 novembre 2015 dans un article de la section arabe du média France 24, qui n’utilise cependant pas en illustration l’image que nous vérifions.
Le même récit, concernant les mêmes évènement, date et lieu, peut être lu, en anglais, sur un site des Émirats arabes unis, Emirates 24/7 (ou Emirates247.com), basé à Dubaï. Ce site, qui n’a publié aucune illustration, a précisé que les trois hommes avaient été appréhendés par les garde-côtes saoudiens alors qu’ils tentaient de passer la drogue en « grande quantité » par bateau.
Une recherche dans des vidéos sur YouTube sur les exécutions en Arabie saoudite nous a permis de retrouver le film de cette triple exécution capitale. La vidéo, mise en ligne le 10 novembre 2015, est intitulée « Fuite d’une vidéo de décapitation en Arabie saoudite » (en anglais, "Beheading Video in Saudi Arabia Leaked"). Elle a été publiée par le compte TheLipTV2, se présentant comme l’extension du compte TheLipTv qui se définit comme un média indépendant. La séquence, d’une durée de 3 minutes et 33 secondes, donne à voir un plateau où deux journalistes discutent de l’extrait que nous vérifions dans cet article.

Les explications dans le descriptif de la vidéo, en anglais, mentionnent une vidéo tournée en secret par un touriste, puis diffusée par un activiste saoudien, comme indiqué par des médias évoqués plus haut. Les sources divergent cependant sur le lieu où les faits se sont produits : si les premières citent Damman, TheLipTV2 parle de Djeddah, dans la province de La Mecque. Djeddah est située sur les bords de la mer Rouge.
En outre, précise la chaîne YouTube, « la date des images est inconnue, tout comme l'identité et les crimes des personnes impliquées ».
Vidéo d’octobre 2014 selon une vérification antérieure
Le même film macabre avait fait l’objet d’une vérification en 2015 par Les Observateurs, une émission de France 24 sur la vérification des faits, après sa publication par un activiste saoudien. Le rapport des Observateurs a été publié le 11 novembre 2015, il indique que cette séquence a été postée le 18 octobre 2014 sur la plateforme de vidéos Live Leak. Cette plateforme a été fermée en mai 2021 et remplacée par une autre surnommée ITEMFLIX.

La même vidéo apparaît aussi sur le site du média italien Giornalettismo, spécialisé dans le monde de l'information numérique, de la cybersécurité. L’article date du 20 octobre 2014.
Nous n’avons pas pu remonter à l’origine exacte de cette vidéo, mais elle date néanmoins au minimum de 2014 et n’a pas été prise le 20 avril 2023 comme le présente le post initial.
La recherche avec différentes variations de mots clés évoquant l’exécution de trois Nigérians en Arabie saoudite affiche des résultats pour 2011 : cette année-là, trois ressortissants du Nigeria avaient été décapités à Djeddah « pour le meurtre de l'un de leurs compatriotes », selon un article publié le 11 juillet 2011 par le journal régional français Le Télégramme.
Article rédigé par Faysal Arnold Boukary avec des contributions de Dieynaba Thiombane et Coumba Sylla.
Édité par Coumba Sylla.
Republiez notre contenu gratuitement
Pour les éditeurs : que faire si votre publication est évaluée comme étant fausse
Un vérificateur de faits a évalué votre publication Facebook ou Instagram comme étant « fausse », « manipulée », « partiellement fausse » ou « contexte manquant ». Cela pourrait avoir de graves conséquences. Que devez-vous faire?
Cliquez sur notre guide pour connaître les étapes à suivre.
Guide des éditeursAfrica Check fait équipe avec Facebook
Africa Check est un partenaire du programme de vérification des faits par des tiers de Meta pour aider à arrêter la diffusion de fausses informations sur les médias sociaux.
Le contenu que nous considérons comme "faux" sera déclassé sur Facebook et Instagram. Cela signifie que moins de gens le verront. Vous pouvez également aider à identifier les fausses informations sur Facebook. Ce guide vous explique comment.
Ajouter un commentaire