EN BREF - La vidéo montrant une "sirène" dorée circule depuis quelques années - au moins 2019, selon nos recherches - sur les plateformes comme WhatsApp et Facebook. Elle a été tournée en Inde et montre une performance artistique dont nous n'avons pu, à ce stade, retrouver le contexte précis. Cet article sera actualisé lorsque nous recevrons des renseignements supplémentaires.
Dans une courte vidéo partagée sur WhatsApp en 2023 dans des groupes maliens et que nous avons pu retrouver dans des publications sur Facebook, une voix d’homme annonce en bambara, une des langues nationales au Mali, la découverte d’une sirène sous un pont de Bamako, la capitale malienne.
Cette ville est traversée par le fleuve Niger et trois principaux ponts. Le premier de ces ouvrages, mis en service à la fin des années 1950, est le Pont des Martyrs, surnommé Vieux pont ou Premier pont. Le deuxième, inauguré en 1993, est le Pont du Roi Fahd en hommage au roi saoudien Fahd Ibn Abdelaziz ou Deuxième pont. Le troisième, inauguré en 2011, s’appelle le Pont de l’amitié sino-malienne, surnommé encore Pont des Chinois ou Troisième pont.
Qu’est-il dit dans la vidéo ?
La vidéo partagée sur WhatsApp se retrouve sur quelques pages Facebook dont Suprême React, qui l’a mise en ligne le 4 mai 2021 et Afrique MON Afrique, qui l’a partagée le 17 juillet 2021. « ... Bonsoir la famille. J'espère que vous allez tous. Hier soir, c'est ce qu'on a retrouvé au troisième pont. Vous pouvez voir des Chinois et d'autres personnes en train de faire des photos... », affirme la voix masculine en bambara, s’exprimant hors caméra, « ce » faisant référence à la sirène.
Dans le film, on voit une créature mi-femme mi-poisson, intégralement dorée, assise à même le sol : la partie supérieure de son corps - de la taille à la tête - est celle d’une femme aux cheveux longs et parée de bijoux, tandis que la partie inférieure est celle d’un gros poisson. La terre est ocre et craquelée. Appuyée sur ses mains, elle est face à la caméra et regarde autour d’elle. Derrière elle, des fils semblent délimiter l’espace entre elle et des curieux.

Le court extrait peut aussi être vu, sans la voix off en bambara, ailleurs sur Facebook (1, 2, 3).
Une vidéo d’Inde
La recherche inversée d'images avec les captures de la vidéo avec Google Lens, l’outil de reconnaissance d'images développé par Google, nous a permis de retrouver la vidéo originale chez des utilisateurs indiens sur ShareChat, la plateforme indienne de médias sociaux, et sur YouTube. Ce film existe sur les réseaux sociaux depuis au moins mars 2019 (1, 2, 3).
Nous n'avons pas pu retrouver le contexte exact de la vidéo, mais des indices montrent qu'elle a été tournée en Inde : notamment la langue qui y est audible, et l’alphabet utilisé pour un texte affiché sur une pancarte près du personnage de la sirène.
Africa Check a montré la vidéo à une communauté de vérificateurs et a reçu des précisions de Logically Facts, une initiative multilingue de fact-checking couvrant l'Europe et l'Inde.
La langue audible dans la vidéo antérieure à cette avec la voix en bambara est le bengali, qui est parlé au Bengale-Occidental, dans le nord-est de l’Inde, et d’autres États de la même région du pays, ainsi qu’au Bangladesh voisin, a indiqué Logically Facts, membre du Réseau international des vérification des faits (IFCN, International Fact-Checking Network).
La pancarte à côté de la créature mi-femme mi poisson indique « motshokonya », ce qui peut se traduire par « sirène » en bengali. « D’après ce que nous avons pu déchiffrer, la pancarte dit aussi : "Eti ekta kalponik drishya", que l’on peut traduire par "Ceci est une scène imaginée" », a précisé Shreyashi Roy, fact-checkeuse senior à Logically Facts basée à Bangalore, en Inde.
La sirène, créature de légendes traversant les cultures et les siècles
Au Mali et dans d’autres pays d’Afrique, la sirène est désignée par « Mami Wata », « Mamy Wata » ou encore « Mammy Wata », entre autres orthographes.
On trouve des explications et références sur cette créature qui traverse les siècles notamment sur le blog Mythologica (Le Grenier de Clio), « consacré aux mythologies, aux croyances religieuses et aux légendes des civilisations du monde entier et leurs représentations dans les arts ».
Selon ce site, Mami Wata est un « esprit de l’eau, parfois décrit comme une sirène, mi-femme mi-poisson, ou d'une belle femme tenant un serpent ». En dépit de cultes différents, il s’agit d’une « divinité africaine vénérée dans une zone géographique étendue qui rassemble des cultures et des peuples aussi divers que les Igbo du Nigeria, les Ewé du Bénin, les Bamiléké du Cameroun et les Kongo. On trouve aussi les graphies : Mamy Wata, Mami Watta ou Mama Wata. Chez les Igbo, elle se nomme Ezenwaanyi (Reine des femmes), Nnekwunwenyi (Honorable Femme), Ezebelamiri (Reine qui vit dans les eaux), Nwaanyi mara mma (La femme plus que belle), ou Uhamiri. Dans certaines zones du Congo, elle est Mamba Muntu (Crocodile-personne) », détaille-t-il. « Dans la diaspora, elle est connue sous le nom de Watramama au Suriname et en Guyane ; Mamadjo à Grenade ; Yemanya / Yemaya au Brésil et à Cuba ; La Sirène, Erzulie et Simbi en Haïti ; Lamanté en Martinique ; Maman de l’eau en Guadeloupe », poursuit-il.
Le Musée national d’art africain (NMAfA, pour National Museum of African Art), lié à l’institution étatsunienne de recherche Smithsonian Institution (SI), a abrité une exposition sur ce thème du 1er avril au 29 juillet 2009 : « Mami Wata : Arts pour les esprits de l'eau en Afrique et ses diasporas » (en anglais : « Mami Wata: Arts for Water Spirits in Africa and the African Atlantic World »), qui demeure accessible sur son site. Les initiateurs de l’évènement entendaient explorer « les cultures visuelles et les histoires de Mami Wata, examinant le monde des divinités de l'eau et leurs pouvoirs de séduction » et révéler notamment « la capacité des images et des idées à façonner la vie des personnes, des communautés et des sociétés ».
D’après le commissariat de l’exposition, « Mami Wata est un symbole complexe avec tant de résonances qu’elle nourrit l’imagination, générant, plutôt que limitant, des significations et des significations. Elle est à la fois une mère nourricière ; maman sexy; fournisseur de richesses ; guérisseur de maux physiques et spirituels ; et l’incarnation des dangers et des désirs, des risques et des défis, des rêves et des aspirations, des peurs et des pressentiments ». « Les gens sont attirés par les possibilités apparemment infinies qu’elle représente et, en même temps, effrayés par son potentiel destructeur. Elle inspire une vaste gamme d’émotions, d’attitudes et d’actions parmi ceux qui l’adorent, la craignent, l’étudient et créent des œuvres d’art à son sujet », est-il indiqué sur le site.
Attention aux photos et vidéos prétendant montrer des sirènes
Comme l’observe l’exposition évoquée au Musée national d’art africain, en raison des « possibilités infinies » d’attirance qu’exerce la sirène sur les gens, la vidéo prétendant qu’une créature similaire a été découverte sous un pont à Bamako ne sera sans doute pas la dernière à circuler sur des plateformes de réseaux sociaux.
Dans le cas où vous serez face à de telles images, qu’il s’agisse de photos ou de vidéos, attention à ne pas les partager sans vérification préalable. Notre site en anglais a déjà démenti des canulars de ce genre, tout comme Snopes, autre site en anglais contre les canulars et rumeurs sans fondement, par exemple.

En cas de doute, vous pouvez contacter des organisations de vérification des faits membres de l’IFCN sur WhatsApp.
Pour Africa Check en français, vous pouvez utiliser le numéro de téléphone +221 77 424 94 73 ou écrire à senegal(at)africacheck.org.
Pour Africa Check en anglais, vous pouvez solliciter notre bureau d‘Afrique du Sud au +27 73 749 7875, notre bureau du Nigeria au +234 908 377 7789 ou notre bureau du Kenya au +254 729 305650. Vous pouvez également aller directement sur les liens répertoriés sur la page de notre communauté sur WhatsApp ou alors écrire à info(at)africacheck.org.
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