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Abdoulaye Wade trompe son monde : des gouvernements ferment souvent des télés

Cet article date de plus de 8 ans

Réagissant à l’annonce de ce qui ressemble à une tentative avortée de fermeture de la télévision privée Walfadjri, l’ancien président de la République Abdoulaye Wade a dit n’avoir « jamais vu un gouvernement s’attaquer à une télévision et vouloir la fermer ».

« Je n’ai jamais vu un gouvernement s’attaquer à une télévision et vouloir la fermer. Je ne l’ai jamais vu dans ma carrière », a affirmé le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais (PDS), dans un entretien téléphonique avec Walf-TV repris par la presse.

Cette sortie faisait suite à l’annonce par le président-directeur général du groupe Walfadjri, Sidy Lamine Niasse, le dimanche 20 mars 2016, d’une descente inopinée du directeur général de l’Autorité de régulation des postes et des télécommunications (ARTP), Abdou Karim Sall, au siège du groupe de presse.

Ce dernier s’est rendu personnellement dans les locaux de Walf. Il a toutefois nié toute volonté de fermer la télé privée. Sall a expliqué qu’il était allé servir une mise en demeure à cette télé qui, selon lui, continuait à faire de la propagande en faveur du Non, le jour du référendum. En fin de compte la télévision n'a pas été fermée et continue d'émettre.

Me Wade a-t-il raison ? Y a-t-il eu des actes similaires lors de son magistère de 2000 à 2012 ? Y a-t-il eu des gouvernements qui ont fermé des chaines de télévision, ailleurs dans le monde ?

Africa Check a joint par téléphone, Mayoro Faye, chargé de communication du PDS, qui a précisé, à ce sujet, que « c’est le contexte qui est important ». Faye a indiqué que « toute déclaration doit être analysée dans son contexte ». Il a affirmé que « la quasi-totalité de la presse, à l’exception de Walf, roulait pour le Oui ».

Fermetures de Sud-FM et de Walf


En août 2009, sous le magistère du même Abdoulaye Wade, le Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA, un démembrement de l’Etat placé sous la tutelle directe du ministre de la Culture) avait fermé Walf TV et les radios Walf FM, Walf 2 et Walf 3, pour « exploitation illégale d’œuvres protégées ». Encadré par la police, le BSDA avait coupé l’émetteur de Walf et emporté du matériel. Des actes que Sidy Lamine Niasse avait qualifiés de « vandalisme d’Etat ».

C'est encore sous le président Wade que la radio privée Sud-FM avait été fermée le 17 octobre 2005, par la police qui avait procédé à l’arrestation de toutes les personnes se trouvant dans les bureaux et studios.  Au moins 19 personnes avaient été retenues au commissariat central de Dakar.

Peu après cette arrestation, le ministre de l’Intérieur de l'époque, Ousmane Ngom, avait exigé l’arrêt de la diffusion d’une interview de Salif Sadio, l’un des chefs de la rébellion armée casamançaise qui revendique l’indépendance de la région sud du Sénégal, depuis le début des années 1980. M. Ngom expliquait sur la Radio Futurs Médias (RFM) que Sud FM avait été fermée « conformément à la loi, pour atteinte à la sûreté de l’Etat ».

La police avait procédé à la fermeture de l’ensemble des relais du groupe dans le pays, avant d'autoriser la reprise des émissions.

Là-dessus, Mayoro Faye a soutenu que la fermeture d’un organe revient au ministère de la Communication mais « on a constaté que c’est Abou Karim Sall, responsable APR (Alliance pour la République, le parti présidentiel) qui est allé le faire ».

« La fermeture de Sud en 2005, ce n’était pas politique, c’était par rapport à la stabilité et la sécurité du pays », selon Faye du PDS.

Kinshasa ferme des télés proches de l'opposition


Lambert Mende (centre), ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement congolais s'adressant à des journalistes en avril 2015. Photo AFP Lambert Mende (centre), ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement congolais s'adressant à des journalistes en avril 2015. Photo AFP

Ailleurs dans le monde, des gouvernements ont eu à fermer des télévisions pour diverses raisons. Tout récemment, le 28 janvier 2016, en République Démocratique du Congo (RDC), deux chaines de télévision du Katanga ont été brutalement fermées sur décision du ministre de la Communication.

Radiotélévision Nyota et la Télévision Mapendo, proches de l'ancien gouverneur Moïse Katumbi, entré dans l'opposition, sont accusées de ne pas être en règle vis-à-vis du fisc.

Un mois de suspension pour Afrique Média


Un événement semblable s’est produit au Cameroun, quand les locaux de la chaîne Afrique Média, à Yaoundé, ont été fermés le 6 août 2015 par le Conseil national de la communication (CNC) pour un mois.

L’organe de régulation des médias reprochait à la « chaine panafricaniste »  un « manque généralisé de professionnalisme » et une « confusion préjudiciable entre liberté d’opinion et atteinte à la dignité des personnes ».

Alger bloque El Watan TV


En Algérie, le gouvernement a décidé, en octobre 2015, de fermer la chaîne de télévision privée El Watan TV sur laquelle Madani Mezrag, chef de l'Armée islamique du salut (AIS), l'ancien bras armé du Front islamique du salut (FIS, dissous), avait tenu des propos menaçants contre le président Abdelaziz Bouteflika.

Dans un communiqué, le ministère de la Communication, qui avait porté plainte contre la chaîne après cette interview, a expliqué qu'El Watan TV « exerce d'une manière illégale et diffuse, de surcroît, des contenus subversifs et portant atteinte aux symboles de l'État » .

Venezuela, une télé accusée de « conspiration »


Le défunt président venezuelien Hugo Chavez entrenait des relations heurtées avec la presse privée de son pays. Photo AFP Le défunt président venezuelien Hugo Chavez entrenait des relations heurtées avec la presse privée de son pays. Photo AFP

Hors du continent africain, au Venezuela, en mai 2007, la Radio Caracas Television, l’une des plus anciennes chaines de télévision d’Amérique Latine, avait été fermée par le gouvernement du président Hugo Chavez. Elle était accusée de « conspiration » par le président Chavez.

La RCTV était en effet la principale chaîne d'opposition d'envergure nationale, proposant des journaux télévisés systématiquement critiques du gouvernement. Le non-renouvellement de la licence de RCTV (Radio Caracas TV), créée en 1953, a été l'une des premières décisions de M. Chavez, après sa réélection triomphale. Le défunt président vénézuélien ne pardonnait pas à la chaîne son ton acerbe et surtout d'avoir soutenu en avril 2002 un coup d'Etat qui l'avait évincé deux jours du pouvoir.

Conclusion : les propos d'Abdoulaye Wade sont inexacts


Il ne s’agit pas ici de justifier ce qui s’est passé à Walfadjri ni de comparer le niveau de la liberté de presse entre le Sénégal et d’autres pays, mais juste de s’assurer  de la véracité d’une affirmation en interrogeant les faits.  Et il se trouve qu'au Sénégal, sous Wade, le gouvernement a bel et bien ordonné la fermeture de télés et de radios.

Sous la présidence de Me Wade, Walf FM et Walf TV ainsi que Sud-FM avaient été fermées. Ces mesures étaient prises suite à la diffusion d’une interview d’un chef rebelle (pour Sud FM) et à un conflit avec le BSDA (pour Walf).

Contrairement à ce que dit l’ancien président, au Sénégal, ailleurs en Afrique et dans le monde – RD Congo, Cameroun, Algérie, Venezuela --, des gouvernements ont pris la décision de fermer des télévisions pour diverses raisons.

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