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Le Sénégal n'a pas éradiqué la lèpre comme peut laisser croire une déclaration présidentielle

Selon le communiqué du conseil des ministres du 3 février 2021, Macky Sall a indiqué que son pays a éradiqué la lèpre depuis 2015. Dans les faits, le Sénégal a dépassé le seuil d’élimination de cette maladie mais ne l’a pas éradiquée.

Cet article date de plus de 2 ans

  • « Le Sénégal a éradiqué la lèpre depuis 2015 » – Communiqué du Conseil des ministres du 3 février 2021
  • « Des cas de lèpre n’existent plus dans les villages de recasement consacrés au traitement des personnes atteintes de la lèpre » – Dr Louis Hyacinthe Zoubi, coordonnateur du Programme national de l’élimination de la lèpre 
  • « Ce ne serait pas correct de dire que l’on a éradiqué la lèpre. Pour le moment nous l’avons seulement éliminée » – Dr Ousseynou Badiane, coordonnateur du Programme élargi de vaccination du Sénégal

Au Sénégal, au cours du conseil des ministres du 3 février 2021, le Président Macky Sall a demandé au Ministère de la Santé et de l'action sociale d’engager le processus d’abrogation du cadre juridique relatif aux villages de reclassement social; en vue de la suppression définitive de leur statut spécial. Une décision motivée par « l’éradication de la lèpre depuis 2015 » au Sénégal. 

Sur la consolidation de l’inclusion sociale, le Chef de l’Etat, rappelant l’éradication de la lèpre, depuis 2015, qui constitue une performance notable de notre système de santé, demande au Ministre de la Santé et de l’Action sociale, d’engager le processus d’abrogation, avant la fin du mois de mars 2021, du cadre juridique (loi n°76-03 du 25 mars 1976) relatif aux villages de reclassement social, en vue de la suppression définitive du statut spécial de ces localités et établissement humains. Conseil des ministres du 3 février 2021

Etat des lieux

La lèpre est l’une des maladies les plus anciennes et les plus redoutées au monde et elle a été synonyme de la stigmatisation et de discriminations dues aux difformités qu’elle engendre, rappelle le Dr Louis Hyacinthe Zoubi. Il est le coordonnateur du Programme national de l’élimination de la lèpre et auteur du rapport Expérience du Sénégal sur la stigmatisation et la discrimination sur la lèpre, publié en novembre 2020.

Selon un tableau des données annuelles sur la lèpre fourni par Dr Zoubi, le Sénégal a enregistré 218 cas de lèpre en 2019. Les femmes représentent 20% de cette population. Quant aux enfants, ils comptent pour 12% des cas. 

Que signifient « éliminer » et « éradiquer » dans le milieu médical ?

L’élimination et l’éradication sont des termes qui sont utilisés en santé publique dans le cadre des contrôles des maladies.  

Le Dr Ousseynou Badiane, coordonnateur du Programme élargi de vaccination (PEV) du Sénégal, explique que l’élimination dans le milieu médical veut dire réduire la maladie à des seuils insignifiants.

« Au plus, un cas pour mille naissances vivantes (en dessous de ce seuil) on peut dire que nous avons éliminé la maladie », indique-t-il. 

Concernant le terme éradication, ce dernier veut dire éliminer complètement la maladie de la planète. Et pour le moment, seule la variole l’a été, soutient le coordonnateur du PEV. 

A quel moment peut-on dire qu’un pays a éradiqué ou éliminé une maladie ?

Dans son bulletin de santé, l'OMS renseigne qu’une maladie est éliminée si elle est suffisamment maîtrisée pour éviter qu’une épidémie ne se produise dans une région géographique donnée. 

« La lutte et l’élimination sont réalisées localement mais une maladie ne peut être éradiquée que quand elle est éliminée partout dans le monde », d’après la même source qui souligne que l’éradication est, à l’évidence, un objectif plus difficile à atteindre.

Le Dr Ousseynou Badiane du PEV du Sénégal explique que dans le processus de contrôle de maladies on passe par des étapes que sont : le contrôle, puis l’élimination et enfin l’éradication. « L’étape suprême » c’est d’aller vers l’éradication. 

Certaines maladies peuvent être impossibles à éradiquer, on se contente alors de les éliminer. Dr Badiane prend pour exemple le cas du tétanos néonatal au Sénégal qui ne peut pas être éradiqué, parce que tout simplement le germe responsable de cette maladie, est une bactérie qu’on retrouve dans la terre et qui peut y résister longtemps. Pour éradiquer la maladie, il faut donc éliminer définitivement l’agent causal (bactérie). Ceci reviendrait à stériliser toute la terre. 

« Vu que c’est impossible, le Programme se donne alors pour mission d’éliminer le tétanos néonatal. Cela veut dire amener le nombre de cas de tétanos néonatal à des cas insignifiants, et c’est le cas ». 

Le Sénégal a dépassé le seuil d’élimination de la lèpre mais ne l’a pas éradiquée

« Ce ne serait pas correct de dire que l’on a éradiqué la lèpre. Pour le moment nous l’avons seulement éliminée », note  Dr Ousseynou Badiane. 

En effet, depuis 1995, le Sénégal a franchi le seuil de l’élimination de la lèpre qui est de moins d’un cas sur 10 000 habitants, selon Dr Zoubi du Programme national de l’élimination de la lèpre.

Contacté par Africa Check, Dr Zoubi nuance en estimant que Macky Sall n’a pas tort d'employer le mot éradiqué. Il argue qu'on peut situer les propos du président sénégalais dans un cadre bien défini qu’est la situation dans les villages de reclassement de personnes atteintes par la lèpre.

Selon lui, dans ce cercle (villages de reclassement social, anciens foyers de la lèpre), les autorités sanitaires ne détectent plus de cas de lèpres depuis plusieurs années. Au regard de cette situation, Dr Zoubi estime qu'il est correct de dire qu'on a éradiqué la lèpre au sein des villages de reclassement social. D’où l’ordre de déclassifier ces lieux et les rendre les plus normaux possible.

Cependant hors de ces localités, le Sénégal enregistre quand même 200 à 250 nouveaux cas par an dans le cadre de la stratégie passive, affirme t-il.

Dans la stratégie active réalisée en 2016, le pays a compté 332 cas de lèpre. 

Cette différence, selon Dr Zoubi, s'explique par le fait que dans la stratégie passive, l’on ne dénombre que les cas où les patients se sont rendus d'eux-mêmes dans les structures de santé. Tandis que dans la stratégie active (plus coûteuse) des campagnes ont eu lieu pour dépister les personnes atteintes. 

Conclusion : les propos de Macky Sall peuvent prêter à confusion

Selon le communiqué du conseil des ministres du 3 février 2021, le président sénégalais, Macky Sall, a indiqué que son pays a éradiqué la lèpre depuis 2015.

Bien que des cas de lèpre n’existent plus dans les villages de recasement consacrés au traitement des personnes atteintes de la lèpre, des spécialistes interrogés par Africa Check relèvent que des cas de lèpre continuent d’être enregistrés dans le pays. 

Le coordonnateur du Programme élargi de vaccination du Sénégal, Dr Ousseynou Badiane, précise qu’au vu du nombre de cas enregistrés, on doit plutôt parler d’élimination de la lèpre au Sénégal, pas d'éradication.

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