Retour sur Africa Check

Pas de preuve que 40 % des médicaments vendus en Afrique sont faux

Cet article date de plus de 4 ans

« Entendu sur #RFi, 40 % des médicaments vendus en Afrique sont faux. Ma question : les pharmacies sont-elles concernées ? »


C'est suite à ce tweet, publié le 21 janvier 2020, qu'un internaute a contacté Africa Check pour vérifier si le chiffre avancé est correct. 





Quelques jours avant, la capitale du Togo, Lomé, accueillait un Sommet africain consacré à la lutte contre le trafic des faux médicaments.



Source imprécise


Africa Check a contacté le service presse de Radio France Internationale (RFI) pour connaître la source de cette donnée. Celui-ci a répondu qu'il serait « compliqué de répondre sans savoir à quel contenu ce compte Twitter fait référence ».


En outre, le média a demandé si ce sont « les propos d’un journaliste, engageant la rédaction, ou ceux d’un invité ? » ou si cette déclaration avait été « écouté en différé sur un podcast ou en direct le 21 janvier ? ». Des questions que nous avons à notre tour, adressées à l’auteur du tweet qui n’a toujours pas réagi. L'article sera actualisé si nous recevons des précisions de sa part.


Nous avons trouvé, sur le site de RFI, un entretien avec Jean-Yves Ollivier, président de la Fondation Brazzaville qui a initié le Sommet de Lomé. Il déclare dans cet entretien : « (...) Le Togo où je me trouve aujourd’hui, reconnaît qu’il y a, à peu près 40 % de faux médicaments en disponibilité ». Toutefois, nous ne sommes pas en mesure de dire si c'est à cette déclaration que l'auteur du tweet, objet de cet article, fait allusion.


Des recherches sur Internet nous ont permis de découvrir cet article du site togolais republicoftogo.com, qui indique que « selon l’OMS, plus de 40 % des médicaments vendus en Afrique sont des faux ». L’article date d'octobre 2019, bien avant le Sommet de Lomé contre le trafic des faux médicaments.




Qu'est-ce qu'un faux médicament


Dans cette étude, publiée en 2017, l’Organisation mondiale de la Santé note que « pendant de nombreuses années, la réponse à cette menace importante pour la santé publique (faux médicaments) a été mêlée à la discussion autour de définitions complexes qui signifiaient différentes choses pour différentes personnes ».


L’étude précise que le terme faux médicament renferme les définitions suivantes :


• produits médicaux de qualité inférieure : aussi appelés « hors spécifications ». Ce sont des produits médicaux autorisés qui ne répondent pas, soit aux normes de qualité requises, soit aux spécifications, ou même aux deux.


• produits médicaux non enregistrés/non autorisés : produits médicaux qui n'ont pas subi d'évaluation et/ou d'approbation par les autorités régulatrices nationales ou régionales compétentes pour le marché sur lequel ils sont commercialisés, distribués ou utilisés, sous réserve des conditions de réglementation et de législation nationales ou régionales.


• produits médicaux falsifiés : produits médicaux qui dénaturent délibérément, frauduleusement leur identité, leur composition ou leur source.


 Dr Elizabeth Pisani, professeur agrégée à l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres (London School of Hygiene & Tropical Medicine) et auteure de l’étude précitée, prévient que « la base de données de l'OMS comprend deux types de médicaments : les faux et ceux qui sont en dessous standards de qualité requis ».

« La base de données, souligne Dr Pisani, ne fait pas de distinction claire entre les deux, mais ils sont vraiment très différents ».







L'OMS ne dit pas que 40 % des médicaments vendus en Afrique sont faux


Dans l'étude de l'OMS précitée, il est précisément indiqué que « 42 % de tous les faux médicaments qui ont été signalés entre 2013 et 2017 provenaient d'Afrique ».


Interrogée par Africa Check, Dr Elizabeth Pisani de l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, auteure de ladite étude, a  insisté sur l'importance de comprendre la différence entre la déclaration « 42 % des médicaments en Afrique sont faux » et « 42 % des faux médicaments signalés à notre système viennent d'Afrique ».


« Les données de l'OMS sont basées sur un système de déclaration ou de signalisation de cas. Cela signifie que l’OMS tient compte de ce qui lui est signalé, mais ce qui est signalé n'est pas (j’insiste là-dessus) représentatif de ce qui est réellement là », ajoute-t-elle.



Cas pratique


Pour mieux expliquer la situation, Dr Elizabeth Pisani donne un cas pratique précis : « Imaginez que le Sénégal trouve 10 cas de faux médicaments en une année et les signale tous à l’OMS. Le Bangladesh trouve 100 cas en une année, mais signale seulement les cinq cas qui ont été découverts par des journalistes et que l’information a été par la suite rendue publique ».


« Donc, à ce jour, explique la spécialiste, l'OMS devrait avoir 15 cas dans sa base de données, dont 66 % censés provenir du Sénégal. Alors qu’en réalité, il y a 110 cas, et seulement 9 % d'eux proviennent du Sénégal ».



Les limites de la base de données de l'OMS


« C'est un exemple imaginaire, mais il expose les limites de la base de données de l'OMS. Au moment de la publication de ce rapport, 42 % de tous les cas signalés provenaient de l'Afrique », souligne Dr Elizabeth Pisani.


« Mais, comme l'indique le rapport, cela s'explique en partie par le fait que l’OMS ait formé plus de points focaux nationaux en Afrique que partout ailleurs. C’est pourquoi il y a eu plus de rapports en provenance de l'Afrique. Ce chiffre (42 %) ne représente absolument pas la vraie prévalence de faux médicaments sur le continent », argue Dr Pisani.


Les explications de Dr Pisani sont corroborées par celles de Pernette Bourdillon Esteve, qui est analyste chef au sein du système mondial de surveillance et de suivi des produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés à l’OMS.


Elle souligne que l'étude précitée « détaille le travail technique de l'OMS et s'appuie sur un certain nombre d'études de cas illustratives ».


Depuis 2013, l'OMS reçoit des rapports de produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés de points focaux nationaux formés. Ces rapports sont regroupés dans une seule base de données globale, explique-t-elle.


« Cette base de données exploite des données qualitatives et quantitatives pour faciliter la gestion des incidents, comprend les forces motrices des produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés et développe des solutions appropriées », précise Pernette Bourdillon Esteve.


Elle fait également savoir que « le système global en tant que tel est une base de données de notification des cas, et ne peut pas être utilisé pour extrapoler la prévalence ni les taux d'incidence (des faux médicaments dans un pays ou région) ».


« Le chiffre 42 % fait référence au taux de rapport ou signalisation de la région africaine à ce système mondial (et non à la prévalence) », conclut-elle.



Pas de données de l'OMS pour 2019


Par ailleurs, Dr Elizabeth Pisani révèle que l'OMS a commandé des études sur la qualité des antibiotiques portant sur 6 marchés africains en 2019, mais les résultats ne sont pas encore disponibles.


Il existe en outre d’autres études régionales et nationales sur les médicaments et qui concernent certaines zones ou pays. C’est le cas de cette étude qui se focalise sur 10 pays africains, où la recherche démontre que près du quart des médicaments anti-hypertenseurs génériques disponibles sont de mauvaise qualité.


Les pays concernés sont le Congo Brazzaville, la République Démocratique du Congo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Togo, la Mauritanie, le Burkina Faso, la Guinée et le Sénégal.


L’étude nous a été recommandée par le Professeur Abdou Niang, responsable de la chaire de néphrologie de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar et vice-président de la Commission dialyse de la Société internationale de néphrologie.



Conclusion : pas de preuves que 40 % des médicaments vendus en Afrique sont faux


Un utilisateur du réseau social Twitter dit avoir entendu sur Radio France International que « 40 % des médicaments vendus en Afrique sont faux ».


Même si la source de cette donnée reste imprécise, un site internet togolais avançait le même chiffre en 2019, l'attribuant à l'OMS.


Toutefois, selon une étude de l'OMS consultée par Africa Check « 42 % de tous les faux médicaments signalés entre 2013 et 2017 provenaient d'Afrique ». Selon l'auteur de l'étude, Dr Elizabeth Pisani, ce chiffre ne représente pas la prévalence des faux médicaments sur le continent, mais plutôt les cas qui sont rapportés à l'OMS.


Par conséquent, rien ne permet de dire que 40 % des médicaments vendus en Afrique sont faux.

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