Retour sur Africa Check
LLUIS GENE / AFP

Sénégal : des déclarations sur la population établie à l’étranger et sur la salinisation examinées

Le journal sénégalais Vox Populi a rapporté deux déclarations, l’une portant sur les Sénégalais de l’extérieur, et l’autre sur les terres du pays affectées par le phénomène de la salinisation. Nous les avons examinées.

Cet article date de plus de 1 an

  • « Environ 4 à 5 % de la population sénégalaise vit à l'étranger (et) environ 5 à 9 % de la superficie totale des terres sénégalaises sont touchées par la salinisation » (Vox Populi)
  • En 2020, les Sénégalais vivant à l'étranger représentaient environ 4,3 % de la population (Nations unies) 
  • La superficie de terres affectées par la salinisation varie entre 5 et 9 % (Institut national de pédologie du Sénégal)

Dans sa parution du 22 février 2023, le quotidien sénégalais d’informations générales Vox Populi a publié un article sur l’émigration des Sénégalais vers l’Europe. 

Capture d'écran de l'article du journal Vox Populi (Africa Check)
Capture d'écran de l'article du journal sénégalais Vox Populi paru dans l'édition du 22 février 2023, dont nous avons vérifié des allégations.

 

Il est indiqué dans l'article que certains Sénégalais émigrent parce que l’agriculture ne leur permet plus de vivre. Ces derniers ont ainsi perdu leurs terres agricoles de plus en plus affectées par la salinisation, relève le journal. De même source, « environ 4 à 5 % de la population sénégalaise vit à l'étranger (et) environ 5 à 9 % de la superficie totale des terres sénégalaises sont touchées par la salinisation ». 

Vox Populi cite un média américain

L’article de Vox Populi est une republication traduite de l’anglais vers le français d’un article du média américain NPR (National Public Radio), principal réseau de radiodiffusion non commercial et de service public des États-Unis. 

L’article de NPR cité comme source par le journal sénégalais est disponible sur internet.

Déclaration

Environ 4 à 5 % de la population sénégalaise vit à l'étranger.

Verdict

Correct

Dans son article, NPR a indiqué comme source des données du Vatican disponibles dans la section Migrants et Réfugiés du site Développement humain intégral, qui est le site du dicastère pour la Promotion du développement humain intégral (en anglais : Migrants & Refugees Section of The Vatican Dicastery for Promoting Integral Human Development). Les dicastères sont des organismes du Vatican assimilables à des ministères. Le dicastère pour la Promotion du développement humain intégral indique s’être fondé sur des travaux de Flavia Bernardini (F. Bernardini, 2018), auteure de plusieurs rapports sur la migration et qui travaille au Parlement européen en tant qu’administratrice. 

Mme Bernardini a précisé qu’elle s’est basée sur des données de la Banque mondiale ainsi que sur un article scientifique datant de 2018. Elle a aussi recommandé de trouver des ressources supplémentaires sur internet et auprès des sources disponibles.

Que révèlent les données disponibles ? 

Amadou François Gaye est à la tête de la Direction générale d'appui aux Sénégalais de l'Extérieur (DGASE), dépendant du Ministère sénégalais des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur. Interrogé par Africa Check, Gaye a affirmé que la DGASE ne possèdait pas de statistiques concernant la population sénégalaise vivant à l’étranger. Elle est cependant en train de faire un recensement des Sénégalais de l’extérieur, selon lui.

De même, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) nous a indiqué qu’elle ne disposait pas de données sur le nombre de Sénégalais vivant à l’étranger. Elle nous a recommandé de consulter l’étude Migration au Sénégal : Profil National 2018 qu’elle a co-réalisée avec l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) du Sénégal. L’étude en question réunit des informations statistiques et institutionnelles sur les migrations concernant le Sénégal.

Le document relève la difficulté d’appréhender correctement la réalité des émigrations compte tenu de l’insuffisance et de la (faible) fiabilité des sources statistiques existantes. Néanmoins, il fournit des chiffres en se basant sur trois sources de données qui mesurent la « migration récente », c’est-à-dire au cours des cinq dernières années ayant précédé l’opération de collecte. Il s’agit de l’Enquête Migration et urbanisation au Sénégal (1992-93), de l’Enquête sénégalaise auprès des ménages (Esam-II, 2004) et du Recensement général de la population, de l’habitat, de l’agriculture et de l’élevage (RGPHAE) 2013.

L’Enquête Migration et urbanisation au Sénégal (1992-1993) estime les migrants établis à l’étranger au cours de la période 1988-1992 à 140 121 individus. L’Enquête sénégalaise auprès des ménages (Esam-II) renseigne que le nombre de Sénégalais ayant émigré au cours des cinq dernières années précédant l’enquête (de 1999 à 2003) à 142 131 individus. Quant aux résultats du dernier recensement général de la population du Sénégal (RGPHAE, 2013), ils font état de 164 901 Sénégalais ayant émigré au cours de la période 2008-2012.

Le Profil migratoire cite également les statistiques de la Division Population des Nations unies, évaluant le nombre de Sénégalais établis à l’étranger à plus 533 000 individus en 2013.  

Toutefois, aucune de ces sources ne précise le pourcentage que présente le nombre de Sénégalais établis à l’étranger par rapport à la population du Sénégal.

Des manifestants défilent à Barcelone le 16 mars 2018 lors d'un rassemblement en mémoire du vendeur ambulant sénégalais Mame Mbaye, décédé à Madrid. Mbaye était un vendeur ambulant d'une trentaine d'années originaire du Sénégal, arrivé en Espagne par bateau il y a 12 ans. Les services d'urgence ont indiqué qu'il avait été trouvé inconscient dans une rue de Lavapies par une patrouille de police. Plusieurs vendeurs ambulants qui se trouvaient avec lui ont déclaré qu'il avait été poursuivi par la police depuis la place centrale de la Puerta del Sol. LLUIS GENE / AFP
Des manifestants défilent à Barcelone le 16 mars 2018 lors d'un rassemblement en mémoire du vendeur ambulant sénégalais Mame Mbaye, décédé à Madrid. Mbaye était un vendeur ambulant d'une trentaine d'années originaire du Sénégal, arrivé en Espagne par bateau douze ans auparavant. Les services d'urgence ont indiqué qu'il avait été trouvé inconscient dans une rue de Lavapiés par une patrouille de police. Plusieurs vendeurs ambulants qui se trouvaient avec lui ont déclaré qu'il avait été poursuivi par la police depuis la place centrale de la Puerta del Sol.
LLUIS GENE / AFP

Les Sénégalais de l’extérieur représentent environ 4,3 % de la population du pays d’après l’ONU

Nous avons interrogé la Division Population des Nations unies qui nous a transmis par courriel ses plus récentes estimations concernant le nombre total de Sénégalais vivant à l’étranger. Ces données portent sur l’année 2020 et révèlent que 693 765 Sénégalais vivaient hors de leur pays à cette période. 

Le chiffre provient de la base de données des Nations unies consacrée aux migrations. Ces données sur le nombre et la composition des migrants internationaux ont été obtenues à partir de statistiques nationales, de recensements et de registres de population ou encore à partir d’enquêtes représentatives au niveau national.

Notons que la donnée 693 765 a été calculée sur la base de la population sénégalaise en 2020, soit 16 215 467 habitants, selon les Nations unies. Le rapport entre les deux indicateurs susmentionnés (la population sénégalaise et la part de la population sénégalaise vivant à l'étranger) « est de 4,28 %, soit environ 4,3% », ont précisé les Nations unies à Africa Check.

Ces données de l’ONU sont reprises par Migration Data Portal, une plateforme statistique mise en place par l’Organisation internationale pour les migrations. Elle est présentée par la Commission de l’Union européenne et par l’Université de Harvard (États-Unis) comme un portail unique en son genre, qui fournit les statistiques les plus récentes et les plus complètes sur les migrations dans le monde en se basant sur plus de 70 indicateurs de données sur les migrations provenant de plus de 20 sources de données internationales. Ces données sont régulièrement utilisées par de nombreuses organisations et agences internationales, à l’image de Migration for Development ou le réseau européen de journalisme de données EDJNet.

Déclaration

Environ 5 à 9 % de la superficie totale des terres sénégalaises sont touchées par la salinisation.

Verdict

Correct

Le ministère sénégalais de l’Environnement et le Centre de suivi écologique (CSE) du Sénégal nous ont orientés vers l’Institut national de pédologie (INP) du Sénégal. 

L’INP est un établissement public à caractère scientifique et technologique dont le rôle est d’élargir le cadre institutionnel de pilotage du développement rural pour relever la productivité des terres, renforcer le niveau de technicité des producteurs ruraux, maîtriser l’occupation des sols et améliorer la qualité des produits agricoles.  

La superficie de terres affectées par la salinisation varie entre 5 et 9 % d'après l'INP

L’INP a transmis à Africa Check deux documents qui s’articulent autour de la dégradation des terres au Sénégal.

Le premier document est un extrait du Rapport sur l'état de l'environnement et les ressources naturelles au Sénégal publié en 2015. C’est une étude produite par le CSE en partenariat avec différentes entités qui s'occupent chacune d'un chapitre dédié. Le chapitre 5 dudit rapport a été produit par l'INP et est intitulé « Terres et gouvernance foncière ».

La salinisation des sols, un défi majeur pour la sécurité alimentaire mondiale, article à lire sur The Conversation.
La salinisation des sols, un défi majeur pour la sécurité alimentaire mondiale, article à lire sur The Conversation.

Quant au deuxième document, il s’agit d’une page contenant quelques statistiques sur la dégradation des terres au Sénégal, ainsi que les initiatives entreprises par l’État du Sénégal pour faire face à ce fléau. Ce sont des éléments de contexte tirés de différentes sources et envoyés par l’INP pour une bonne compréhension du phénomène de la salinisation. 

L’étude susmentionnée relève que l’estimation des superficies des terres sénégalaises sous l’emprise du processus de salinisation donne plusieurs résultats. Elle varie de 925 000 hectares (ha), dont 625 000 ha sévèrement affectés, à 1,7 million d'hectares. Le document indique également que les études menées par l’INP en 2008 ont révélé que 996 950 ha de terres étaient affectées par la salinisation.

Selon Papa Nekhou Diagne, directeur technique de l'INP, cette différence entre les données avancées par différents acteurs est « liée simplement aux différences dans les approches méthodologiques et les échelles de travail ».

Il poursuit : « Les 996 950 ha (de terres affectées par la salinisation, NDLR), rapportés à la superficie du Sénégal (196 712 km² selon l’ANSD) et multipliés par 100, donnent effectivement 5 % (plus précisément 5,06 %, NDLR) » de terres affectées par la salinisation. « Et si vous considérez les 1 700 000 ha estimés par le CSE suivant une approche terres au sens large (sols-eaux-végétations), par le même cheminement, vous trouverez environ 9 % (8,64 % plus précisément, NDLR) », a-t-il ajouté.

Enfin, notons que l'INP a réalisé, en partenariat avec le CSE, une étude similaire mais qui n'a pas couvert le territoire national. Les estimations ont concerné uniquement les régions de Fatick et de Kaolack, a renseigné Papa Nekhou Diagne.

De la mise à jour des statistiques

Dr Cheikh Oumar Ba, directeur exécutif de l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar), énumère des raisons pour lesquelles les statistiques sur les questions de terre ne sont pas récentes et tardent à se renouveler.  Selon lui, ces statistiques en Afrique posent des défis relatifs à la fiabilité des données utilisées.

« La plupart de ces statistiques ne sont pas régulièrement mises à jour et les appareils statistiques souffrent des problèmes de moyens, de collecte régulière. Des efforts existent, mais tardent à se généraliser et les moyens pour systématiser la collecte et l'analyse de données méritent d'être renforcés », a-t-il relevé.

Republiez notre contenu gratuitement

Veuillez remplir ce formulaire pour recevoir le code de partage HTML.

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
limite : 600 signes
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Voulez-vous continuer à lire nos vérifications des faits ?

Nous ne vous ferons jamais payer pour des informations vérifiées et fiables. Aidez-nous à poursuivre cette voie en soutenant notre travail

S’abonner à la newsletter

Soutenir la vérification indépendante des faits en Afrique