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Une photo du président nigérien renversé Mohamed Bazoum « en train de signer sa démission » le 27 décembre 2023 ? Non, elle a été prise en mars 2023 au Togo

EN BREF – Sur la photo, c’est bien le Nigérien Mohamed Bazoum écrivant dans un document ouvert mais, contrairement à ce que rapporte la publication vérifiée, la photo ne date pas du 27 décembre 2023. Elle a été réalisée en mars 2023 à Lomé, au Togo.

Une page Facebook appelée Œil du Sahel TV a publié le 27 décembre 2023 un texte accompagné d’une photo assurant qu’il s’agit du Nigérien Mohamed Bazoum « en train de signer » sa lettre de démission de la présidence de son pays.

Contexte

Le Niger est dans une crise politique et sécuritaire exacerbée par un coup d’État militaire contre le régime du président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023 (dans la nuit du 26 au 27 juillet 2023 précisément).

Les putschistes étaient menés par le chef de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tchiani - ou Tiani, selon la graphie utilisée par l’Agence nigérienne de presse (ANP, officielle) et d’autres médias  ou encore Omar Tchiani. Cet officier supérieur nigérien est devenu président de la transition le 28 juillet 2023.

Plusieurs pays et organisations, dont la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union africaine (UA), ont condamné le coup d’État et réclamé le rétablissement du pouvoir de Bazoum.

Depuis son renversement, il est retenu par les putschistes avec son épouse, Khadija Bazoum (ou Hadiza Bazoum ou encore Hadiza Ben Mabrouck Bazoum) et leur fils, Salem Bazoum. La fille du président renversé, Zazia Bazoum Mohamed, a réclamé la libération de sa famille dans une tribune publiée le 22 août 2023 (et actualisée le 23 août 2023) par le journal français Le Figaro sur son site. Cette situation n’avait pas changé au moment où nous mettons en ligne cet article.

Dans un communiqué publié le 19 octobre 2023, les autorités nigériennes de transition ont annoncé que Mohamed Bazoum et des proches avaient tenté sans succès de « s’évader » avec l’aide d’une « puissance étrangère ». Ce projet avorté concernait Bazoum, « accompagné de sa famille, ses deux cuisiniers et deux éléments de sécurité ». Tous comptaient d’abord se rendre dans une cachette dans le quartier Tchangarey de Niamey, puis être exfiltrés dans deux hélicoptères au Nigeria voisin, selon ce texte publié le même jour par l’Agence nigérienne de presse. « Les principaux auteurs et certains de leurs complices ont été arrêtés, le procureur de la République, saisi de l’affaire, a d’ores et déjà ouvert une enquête et la situation est sous contrôle », peut-on encore lire dans le communiqué.

Le 18 septembre 2023, des avocats mandatés par le président renversé, son épouse et leur fils ont porté plainte auprès de la Cour de Justice de la Cedeao, basée à Abuja, au Nigeria, contre l’État du Niger pour violation de « leurs droits fondamentaux, notamment le droit d’aller et venir, le droit de ne pas être arrêtés ni détenus arbitrairement, et les droits politiques de Mohamed Bazoum ». Dans un arrêt prononcé le 15 décembre 2023, et publié sur son site le lendemain, la Cour a donné raison aux plaignants et ordonné «  la libération immédiate et inconditionnelle » de Mohamed Bazoum et de ses proches retenus. L’institution judiciaire régionale a également ordonné à l’État du Niger « de rétablir immédiatement l’ordre constitutionnel », notamment « en remettant le pouvoir d’État à Mohamed Bazoum », peut-on lire dans sa décision.

À propos de la publication de l’Œil du Sahel TV du 27 décembre 2023

« L'ex président Bazoum Mohammed entrain de signer sa démission aujourd'hui mercredi 27 décembre. Félicitations à lui! », est-il écrit dans le message publié le 27 décembre sur la page Facebook Œil du Sahel TV. (Nous avons retranscrit le texte tel qu’il a été publié, NDLR.)

La publication est assortie d’une photo montrant Mohamed Bazoum en costume gris et cravate bleue sur une chemise de couleur claire. Il est assis à une table et, stylo bleu dans la main droite, l’air concentré, il écrit dans un document ressemblant à un cahier ou un registre. En arrière-plan, on devine plusieurs personnes debout derrière lui.

Sur Facebook, d’autres pages ont publié la même allégation, en tout ou partie, avec la même photo ou d’autres images (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20).

Sur la même plateforme, certains internautes ont publié des vidéos rapportant la même nouvelle (1, 2, 3, 4, 5).

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À propos de la page Œil du Sahel TV

La page Œil du Sahel TV a été créée le 15 octobre 2023 et elle est enregistrée sur Facebook comme « Chaîne de télévision - Média - Journaliste », selon les renseignements fournis à la plateforme. « Bienvenue sur la page officielle de votre Web TV d'informations nationales et internationales ! », clame-t-elle dans sa présentation (partie Intro).

Initialement appelée Oeil du Sahel, elle a été renommée le 22 octobre 2023 Œil du Sahel TV, appellation qu’elle conservait jusqu’à la mise en ligne de notre article.

Elle a indiqué être domiciliée à Dédougou, dans le nord-ouest du Burkina Faso, en ayant une « zone de service » comprenant « Ouagadougou, Burkina Faso · Lome, Ghana · Paris · Mali, Guinée · Cocody, Côte d'Ivoire » (localisations rapportées telles que mentionnées, NDLR).

Elle est liée à un numéro de téléphone burkinabè et une adresse électronique de la messagerie gratuite Gmail. Aucune indication n’a été fournie sur sa présence sur d’autres plateformes de réseaux sociaux à part Facebook.

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Photo officielle d’une visite de Mohamed Bazoum à Lomé, au Togo, en mars 2023

Nos recherches sur la photo publiée dans la publication de la page Facebook Œil du Sahel TV que nous vérifions nous ont permis de constater qu'elle n'a pas été prise le 27 décembre 2023 comme prétendu, et qu’elle n’a pas non plus été faite à Niamey, la capitale nigérienne.

Nous avons notamment utilisé la recherche inversée avec Google Images, un des outils dédiés de Google, qui a montré que l'image a été sortie de son contexte.

La photo d’origine a été prise avant le coup d’État de juillet 2023 au Niger : elle a été faite le 21 mars 2023 à Lomé, au Togo, lors d’une visite officielle de Mohamed Bazoum, comme le précise la page Facebook officielle de la présidence nigérienne dans une publication datée du même jour, mardi 21 mars 2023.

« ➡️[Le Président de la République🇳🇪, SEM Mohamed Bazoum, a entamé lundi 20 mars 2023 une visite officielle en République Togolaise🇹🇬, à l’invitation de son homologue Faure Essozimna Gnassingbé.] », peut-on lire dans cette publication, qui poursuit : « 🟢 Étape du Mardi : Visite de la Maison du Hadj. Tôt le mardi, le Président de la République a effectué une visite à la Maison du Hadj de Lomé, près de l’Aéroport International Gnassingbé EYADEMA. Fruit de la coopération entre la République togolaise et le Royaume d’Arabie saoudite, cette infrastructure est prioritairement destinée à l’accueil des pèlerins au départ et au retour du Hadj. Mais elle comprend aussi une mosquée, un collège et un lycée franco-arabes, ainsi qu’un centre médico-social ».

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Ce texte de la présidence nigérienne est assorti de 21 photos au total, et l’image au centre de notre vérification est la dixième du lot.

Les douzième et dix-septième photos de la publication montrent Mohamed Bazoum à la même place, en train d’écrire. La douzième photo, dont le cadre est plus large, permet de voir plusieurs personnes debout derrière lui.

Toutes les photos portent dans le coin inférieur gauche la mention « © DIRCOMPRN ». Cela indique qu’elles ont été faites par la Direction de la communication de la présidence de la République du Niger, dont DirComPRN est l’abréviation.

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Nous pouvons remarquer que la photo de la publication vérifiée a été rognée, et ne montre pas la signature © DIRCOMPRN.

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Aucun commentaire dans les canaux officiels d’information du Niger en ligne au 29 décembre 2023

Nous avons recherché dans les canaux officiels d’information du Niger disponibles en ligne une annonce ou un commentaire sur la prétendue démission signée par Mohamed Bazoum : l’agence officielle, la page Facebook officielle de la présidence nigérienne ou encore le compte de la présidence nigérienne sur le réseau social X (ex-Twitter). Nous n’en avons pas trouvé jusqu’au 29 décembre 2023, au moment où nous bouclons cet article.

Quand nous avons fait la recherche avec le mot-clé Bazoum sur l’Agence nigérienne de presse, le site a affiché des articles d’avril 2023 ou antérieurs à cette date. Sur Facebook et ex-Twitter, les dernières communications de la présidence datent du 24 décembre 2023 (1, 2). Le site officiel de la présidence nigérienne (presidence.ne) renvoyait au site de la présidence de transition (http://cnsp.ne/), le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), qui était « en cours » au 29 décembre 2023. Quant au portail officiel du gouvernement nigérien (http://www.gouv.ne/), il était « en maintenance » à la même date.

Vérification par d’autres fact-checkeurs

La photo concernée par cet article a également fait l’objet d’une vérification par des homologues fact-checkeurs, qui ont partagé les résultats de leurs recherches sur leurs sites et/ou sur les réseaux sociaux.

C’est le cas du site Les Observateurs du média public français France 24, dans un article publié le 28 décembre 2023 sur la même annonce et la même photo de la publication que nous vérifions.

« L’auteur de la photo est Aboubacar Magagi, photographe officiel du président de la République du Niger durant cette période. Contacté par la rédaction des Observateurs, il a confirmé que la photo avait été prise durant la visite officielle de Mohamed Bazoum à Lomé », a précisé ce média. « Les Observateurs, c'est un site en quatre langues (français, anglais, arabe et persan) et deux émissions participatives de France 24 (une hebdomadaire et une mensuelle) », d’après sa page de présentation.


Cet article a été réalisé par la journaliste tunisienne Rabeb Aloui (BN Check), qui a suivi en 2023 un stage d’immersion au sein de la rédaction francophone d’Africa Check, à Dakar, soutenu par un projet du département d'État américain.

Texte réalisé avec la contribution de Faysal Arnold Boukary, complété et édité par Coumba Sylla.

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