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Non, le Rwanda n'a pas promis « de chasser tous les Congolais » de son territoire

EN BREF - Les médias de référence consultés par Africa Check pour les besoins de cette vérification ne mentionnent pas que le Rwanda, ou son président, a promis ou décidé de « chasser tous les Congolais » et de leur refuser l’asile, contrairement à l’allégation d'un internaute congolais (République démocratique du Congo) sur sa page Facebook.

Sur Facebook, Glody Zima, de Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC), se présente comme « juriste publiciste », « écrivain et personnalité politique » entre autres qualités.

Sur sa page comptant quelque 5 200 abonnés (au 28 janvier 2023), il a publié le 10 janvier 2023 le texte suivant : « Le Rwanda promet de chasser tous les congolais et refuser les réfugiés congolais sur son sol » (texte reproduit tel qu’écrit, NDLR).

Capture d'écran d'une publication sur Facebook d'un internaute de République démocratique du Congo sur une déclaration attribuée au Rwanda.

Cette publication intervient dans un contexte de tension accrue entre la RDC et le Rwanda, pays voisins.

Rébellions et inimitiés diplomatiques

Goma est le chef-lieu de la région du Nord-Kivu, dans l’est de la RDC, frontalière du Rwanda. Depuis mars 2022, cette ville est, dans sa partie nord, le théâtre d’affrontements entre les forces armées congolaises et les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23).

« Le M23 est essentiellement composé par des anciens soldats de l'armée congolaise qui se sont rebellés car ils accusent le gouvernement de marginaliser leur minorité ethnique tutsi », indique le site de la chaîne francophone d’information TV5Monde dans un article sur ce mouvement publié en mai 2022.

Le M23 s’est nommé en référence à la date de signature d’un accord, le 23 mars 2009, entre le gouvernement congolais et leur ancienne organisation, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP).

Les Tutsis, comme les Hutus, font partie des communautés ethniques qu’on retrouve en RDC et au Rwanda à la faveur du découpage des frontières au 19ème siècle, durant la colonisation - ces frontières ont été conservées après les indépendances des deux pays, dans les années 1960 - mais également à l’installation de personnes ayant fui le génocide des Tutsis au Rwanda, entre avril et juillet 1994. Cette année-là, en cent jours, « plus d'un million de Tutsis et Hutus modérés furent tués par des extrémistes Hutus », estime l’ONU dans un programme de communication et d'éducation dédié à ces massacres. Les mêmes estimations figurent sur le site du gouvernement rwandais.

La RDC accuse le Rwanda de soutenir les rebelles congolais, un soutien évoqué également par l’ONU et par l’Union européenne. (UE) Ce que conteste Kigali qui, en retour, accuse Kinshasa de collaborer avec la rébellion rwandaise des FDLR, les Forces démocratiques de libération du Rwanda.

La RDC est présidée depuis janvier 2019 par Félix Tshisekedi et le Rwanda par Paul Kagame depuis mars 2000.

Citation indirecte, aucune autorité identifiée

Dans sa publication sur Facebook, Glody Zima n’indique pas quelle autorité s’est exprimée sur le projet supposé du Rwanda d’expulser des Congolais et de refuser les réfugiés sur son sol, il ne fournit pas non plus explicitement la date ou l’occasion de cette éventuelle déclaration, rapportée sans guillemets.

Glody Zima mentionne cependant « RFI », les initiales du média français de service public Radio France Internationale, ainsi que ces détails : « 09/01/202.3, 20h30 Kinshasa », semblant correspondre à des date, fréquence et heure de diffusion d’une émission.

Le texte a été également partagé ici, ici et ici.

La publication de Glody Zima sur sa page est complétée par onze pictogrammes (emojis ou émoticônes) d’index pointant vers le bas, désignant un montage photo de Félix Tshisekedi assortie d’une citation : « Paul Kagame est un partenaire fiable et nécessaire » et la précision « Interview | 29 juin 2019 ». Elle comporte le logo de Jeunes Patriotes Congolais, entité identifiée sur sa page Facebook comme une « organisation de jeunesse ».

Capture d'écran de la publication

 

Lien revendiqué avec un parti de l’opposition

En plus de « juriste publiciste », « écrivain et personnalité politique », Glody Zima est présenté comme « expert aux questions de droit » et « chercheur » sur sa page, créée le 22 juillet 2014, d’après les informations transmises à Facebook.

 

Capture d'écran de la transparence d'une page Facebook RDC-Rwanda.

Sur la plateforme, aucun numéro de téléphone n’est associé à cette page, mais la recherche sur ses comptes de réseaux sociaux et sa présence en ligne l'associent clairement au parti d’opposition Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecidé), de l’homme politique Martin Fayulu.

Sur Facebook, Glody Zima est visible dans des vidéos et photos le montrant sur des plateaux de télévision ou sur le terrain en tant que « communicateur national Ecidé », notamment pour encourager les Congolais « à s'enrôler massivement pour les élections de 2023 », ainsi qu’on peut le lire dans une de ses publications du 14 janvier 2023.

La RDC doit organiser une élection présidentielle en décembre 2023.

Fayulu était candidat au précédent scrutin, tenu en 2018.

C’est Félix Tshisekedi qui en a été proclamé vainqueur par la Cour constitutionnelle congolaise et il a prêté serment le 24 janvier 2019. Martin Fayulu, classé deuxième selon l’institution, a contesté ces résultats, en dénonçant des fraudes, et se considère comme « président élu » de la RDC. Ses partisans le désignent de la même manière, et c’est le cas de Glody Zima sur son compte Twitter (@zima_glody), créé en janvier 2021 et comptant près de 4 000 abonnés au 28 janvier 2023. Il s’y identifie notamment comme « juriste, consultant juridique » et « communicateur national Ecidé du président élu de la RDC, Martin Fayulu ».

Il est présent sur Twitter avec un autre compte (@glody_zima), plus ancien (ouvert en septembre 2019), mais tout aussi clair sur son appartenance politique.

Capture d'écran du compte Twitter de l'auteur d'un post Facebook RDC-Rwanda.

Une déclaration manipulée

En interrogeant le moteur de recherche Google avec les mots clés : « Rwanda, Paul Kagame, discours, RDC », nous avons retrouvé de nombreux articles faisant référence à un discours du président rwandais prononcé le 9 janvier 2023 devant les parlementaires à Kigali.

Kagame s’exprimait lors de la prestation de serment du nouveau président du Sénat, François-Xavier Kalinda, précise l’agence turque d’information Anadolu Agency (AA) dans une dépêche publiée le 10 janvier 2023.

Nous n’avons pas pu disposer d’un enregistrement de l’allocution intégrale de Kagame ou de sa version écrite complète. Il en existe un montage vidéo posté le 9 janvier 2023 sur le compte Twitter de la présidence rwandaise (@UrugwiroVillage), en anglais.

Paul Kagame ne parle pas de « chasser tous les Congolais » dans cet extrait de moins d’une minute et demie.

Capture d'écran d'une vidéo du président Paul Kagame postée sur Twitter le 6 janvier 2023.

Voici la transcription du texte en anglais :

"We cannot keep being host to refugees for which later on we are held accountable in some way, or even abused about.

Refugees as a result of ethnic cleansing based in another country and we must be the dumping ground of those people who are being deprived of their rights.

We have had refugees here for over 20 years, from DRC. One type of people.

This is not Rwanda’s problem. And we are going to ensure that everybody realizes that it is not Rwanda’s problem.

And starting with saying those who think it is Rwandas problem and not Congo’s, first of all, remove this Congolese from here.

Those who are coming in every day just on the actions of government and institutions.

If you tell me that government is not functioning properly, or this or…, that is still none of my business.

If it is to be my business, it is yours also, meaning the international community, these are the ones I am addressing. It is as much your problem as it is mine.

But I am refusing that Rwanda should carry this burden and be insulted and abused every day about it."

Voici la traduction en français :

« Nous ne pouvons pas continuer à accueillir des réfugiés pour lesquels nous sommes ensuite tenus responsables d'une manière ou d'une autre, voire malmenés.

Les réfugiés sont le résultat d'une purification ethnique basée dans un autre pays et nous ne devons pas être le point de chute de ces personnes qui sont privées de leurs droits.

Nous avons des réfugiés ici depuis plus de 20 ans, en provenance de la RDC. Un seul type de personnes.

Ce n'est pas le problème du Rwanda. Et nous allons faire en sorte que tout le monde comprenne que ce n'est pas le problème du Rwanda.

Et en commençant par dire à ceux qui pensent que c'est le problème du Rwanda et pas celui du Congo, tout d'abord, faites partir ces Congolais d'ici.

Ceux qui arrivent tous les jours juste sur les actions du gouvernement et des institutions.

Si vous me dites que le gouvernement ne fonctionne pas correctement, ou ceci ou..., cela ne me concerne toujours pas.

Si cela doit être mon problème, c'est aussi le vôtre, c'est-à-dire celui de la communauté internationale, c'est à eux que je m'adresse. C'est autant votre problème que le mien.

Mais je refuse que le Rwanda porte ce fardeau et qu'on l'insulte et le malmène tous les jours à ce propos. »

Citation rapportée introuvable

Les médias de référence consultés par Africa Check pour les besoins de cette vérification ne mentionnent pas non plus que le Rwanda, ou son président, a promis ou décidé de « chasser tous les Congolais » et de leur refuser l’asile, contrairement à l’allégation de Glody Zima sur sa page Facebook.

On peut retrouver des traductions des propos de Paul Kagame dans un article mis en ligne le 10 janvier 2023 par le magazine panafricain francophone Jeune Afrique, se fondant sur l’Agence France-Presse, ainsi que dans un article publié à la même date par RFI en plus de la dépêche d’Anadolu Agency évoquée plus haut.

« Le Rwanda ne ferme pas ses portes » aux réfugiés, a assuré le porte-parole adjoint du gouvernement rwandais, Alain Mukuralinda, dans un entretien avec le diffuseur public allemand Deutsche Welle, mis en ligne sur le 11 janvier 2023 (4 minutes et 19 secondes). « En fait, il faut que la phrase soit remise dans son contexte. (…)  Le président n’a pas dit que le Rwanda n’allait plus accueillir les réfugiés », a-t-il indiqué.

Selon lui, Paul Kagame a « utilisé des mots forts » dans son discours pour « interpeller tout le monde » sur la situation des réfugiés congolais dans son pays. Cependant, « que les choses soient claires : le Rwanda va toujours accueillir des réfugiés, le Rwanda ne va jamais renvoyer les réfugiés, mais il faut que ce fait ne soit plus ignoré », a encore soutenu Mukuralinda à RFI. On l’on peut l’y entendre dans une intervention de 46 secondes.

Paul Kagame avait évoqué les réfugiés congolais au Rwanda dans les mêmes termes, en anglais, lors de son discours à l’occasion du Nouvel An, selon une dépêche publiée le 2 janvier 2023 par l’Agence rwandaise d’information (ou RNA, d’après son sigle en anglais : Rwanda News Agency). Là encore, nulle mention de « chasser les Congolais ».

Citation avérée sur le montage photo

La citation figurant sur le montage photo de Félix Tshisekedi dans la publication de Glody Zima peut en revanche être attribuée au président congolais.

Elle est extraite d’un entretien de Tshisekedi avec des journalistes des médias français France 24 et RFI le 29 juin 2019, comme indiqué sur l’image.

La vidéo (près de 25 minutes) a été diffusée à la même date sur la chaîne YouTube de France 24, et y demeurait accessible au 28 janvier 2023.

Le chef de l’État congolais, alors aux affaires depuis quelques mois, a affirmé avoir effectué des tournées dans la région pour « établir une coopération » contre les groupes armés dans la zone, et avoir constaté une « très, très bonne entente, que ce soit avec le Rwanda, ou avec l’Ouganda, le Burundi… Bref, avec tous les voisins ».

À 5:39, un des journalistes lui a demandé si Paul Kagame était « un partenaire fiable » à ses yeux, Félix Tshisekedi a répondu : « Ah oui, absolument. Et nécessaire », en précisant que tous ses homologues des pays voisins étaient « des partenaires essentiels pour la paix et la sécurité dans la région ».

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