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BLOG - Présidentielle sénégalaise de 2024 : entre tentatives de manipulation et loi anachronique autour des sondages d’opinion en période électorale

La vague de désinformation et de manipulation autour de l’élection présidentielle sénégalaise de 2024 au Sénégal s’est souvent manifestée par la publication de faux sondages d’opinion annonçant un candidat ou un autre en tête des intentions de votes. Il est important de comprendre ce phénomène et d’en alerter le public et les électeurs. 

Les Sénégalais sont appelés à voter, le dimanche 24 mars 2024, pour élire leur cinquième président de la République pour un mandat de cinq ans. Les dix-neuf candidats en lice ont fini de sillonner le pays pour convaincre les électeurs - la campagne s’est terminée le vendredi 22 mars - leurs équipes, militants et sympathisants ont utilisé les réseaux sociaux pour toucher le maximum de personnes en faisant souvent recours à la propagande électorale. 

Cela s’accompagne aussi de tentatives, parfois grossières, de manipulation. C’est le cas notamment d’un certain nombre de comptes sur les réseaux sociaux qui ont multiplié les publications prétendant montrer des résultats de sondages d’opinion sur les intentions de vote des électeurs sénégalais.

Opérations coordonnées, tentatives de manipulation grossières avec des sondages bidons

C’est le cas de ce faux sondage publié sur les réseaux sociaux. A priori, ledit sondage ne devrait pas être pris au sérieux dans la mesure où, comme certains internautes l’ont d’ailleurs signalé, il présente trois candidats (Amadou Ba, Pape Djibril Fall et Bassirou Diomaye Faye) qualifiés pour le second tour et dont les scores cumulés font 130,7 % des intentions de vote. Toutefois, en dehors de son caractère grossier, il convient de souligner que le visuel montrant le prétendu sondage a été publié sur Facebook par une quinzaine de comptes, comme le souligne cet article d’Africa Check. Une analyse des publications permet de constater que certaines ont été faites quasi simultanément avec le même message par des comptes partageant du contenu sur le candidat Pape Djibril Fall : ce qui laisse penser à une opération coordonnée. En outre, le visuel est accompagné de la mention « #SenegalVote_2024 ». Ce qui peut laisser croire que le sondage est l’œuvre de Senegal Vote qui est « un programme de sensibilisation numérique des citoyens sénégalais au processus électoral », selon ses initiateurs.

Un autre « sondage », publié sur X et plaçant le candidat Bassirou Diomaye Faye en tête avec 37 % des intentions de vote, a été attribué à un organisme appelé « Centre d’études politiques internationale » dont il n’existe aucune trace jusqu’à la mise en ligne de cet article. 

Auparavant, un autre « sondage » donnant le candidat Amadou Ba vainqueur dès le premier tour avait fait le tour de la toile. Là aussi, les auteurs du document ont cherché à faire croire qu’il s’agissait d’un sondage effectué par l’institut français OpinionWay, spécialisé dans les études d’opinion et de marchés. Son vice-président a indiqué à #SaytuSEN2024, une alliance de vérification des faits dans le cadre de la présidentielle de 2024 au Sénégal, que l’institut n’avait rien à voir avec ledit sondage.

Ce n’est pas la première fois que la publication de sondages à l’origine douteuse à la veille d’une élection fait polémique. En septembre 2010, l’ancien ministre sénégalais de la Communication, Moustapha Mamba Guirassy, avait publié un communiqué pour appeler « au respect strict de la loi » à la suite de la publication de sondages d’opinion « sur les intentions de vote des populations de Dakar à l’élection présidentielle de 2012 ». La même mise en garde avait été faite, par un de ses successeurs au ministère de la Communication, à quelques jours de l’élection présidentielle de 2019.

    De gauche à droite, les candidats Amadou Ba, Bassirou Diomaye Faye, Khalifa Sall et Idrissa Seck. Ce sont quatre des dix-neuf candidats en lice pour l'élection présidentielle de 2024 au Sénégal. Les Sénégalais devraient élire leur nouveau président le 24 mars 2024 et mettre fin à des semaines de crise déclenchées par le retard du scrutin. JOHN WESSELS, Seyllou, MICHELE CATTANI / AFP
    De gauche à droite, les candidats Amadou Ba, Bassirou Diomaye Faye, Khalifa Sall et Idrissa Seck : quatre des dix-neuf candidats en lice pour l'élection présidentielle de 2024 au Sénégal. Les Sénégalais devraient élire leur nouveau président le 24 mars 2024 et mettre fin à des semaines de crise déclenchées par le retard du scrutin. JOHN WESSELS, Seyllou, MICHELE CATTANI / AFP

    Une loi dépassée selon les professionnels du secteur

    Au Sénégal, les sondages d’opinion sont encadrés par une loi qui date de 1986 et qui dispose que « la publication ou la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum ou une élection réglementée par le Code électoral est interdite à compter de la date de publication au Journal Officiel du décret portant convocation du corps électoral jusqu’à la publication définitive des résultats du scrutin ». De même, les instituts de sondage doivent avoir l’agrément de la commission nationale des sondages pour pouvoir faire leurs enquêtes et obtenir son autorisation avant de publier leurs résultats. 

    Toutefois, les professionnels du secteur appellent depuis plusieurs années à une libéralisation avec un cadre légal moins contraignant. Ils souhaitent également que la commission nationale des sondages soit « une commission de techniciens ».

    Le fonctionnement de la commission actuelle a toujours posé problème. Par exemple, c’est seulement en 2011 que ses membres ont été nommés pour la première fois. Elle était dirigée à l’époque par le magistrat Cheikh Tidiane Coulibaly, ancien premier président de la Cour suprême et actuel membre du Conseil constitutionnel.

    Lire et comprendre les sondages

    Dans ce guide publié en 2016, Africa Check donne quelques conseils pratiques pour lire et comprendre les résultats d’un sondage d’opinion. Avant d’accorder du crédit à un sondage et il est important d’obtenir des réponses aux quelques questions ci-dessous.

    • Qui a réalisé le sondage ? Quelle est la réputation de l’organisation qui a mené le sondage ? A-t-elle fait ses preuves ? 
    • Qui a commandé le sondage et pourquoi ? Si le sondage a été commandité par un parti politique en perspective d’une élection, il doit avoir un objectif spécifique et les résultats pourraient être dénaturés en raison de l’échantillonnage et des questions posées. Il est courant de voir un parti politique, à la veille d’une élection, publier des sondages qui lui sont favorables et présenter ses adversaires dans une mauvaise posture.
    • Comment le questionnaire a-t-il été formulé ? La façon dont une question est formulée peut fondamentalement influer sur le résultat  d’une enquête. Dans certains cas, les questions sont destinées à aboutir à un résultat particulier. 
    • Comment les répondants ont-ils été choisis ? Sur quelle base  l’échantillon a-t-il été constitué ? A-t-il été constitué au hasard ? Ou bien les répondants ont-ils délibérément choisi de participer au sondage ?
    • Quelle est la représentativité de l’échantillon ? Un sondage d’opinion basé sur un échantillon de quelques dizaines – ou même quelques centaines – de personnes a peu de chance de refléter les points de vue d’une population de plusieurs millions de personnes. La plupart des instituts de sondage préconisent qu’un échantillonnage bien choisi, au hasard, avec, un nombre minimum de personnes requis (souvent 1 000) pour produire des résultats précis. Pour un sondage portant sur l’élection présidentielle, un échantillon représentatif devrait refléter les caractéristiques socio-démographiques (sexe, âge, catégorie socio-professionnelle, région) de l’électorat.
    • Comment les données ont été collectées ? Par téléphone, face à face ou en ligne ? Attention aux enquêtes réalisées dans les centres commerciaux, dans les arrêts de bus ou toute autre place publique, parce qu’elles ne peuvent pas être faites au hasard ou être représentatives. Il faut traiter les enquêtes via internet avec scepticisme. Les sondages en ligne que l’on voit tous les jours sur les sites web peuvent être divertissants, mais ils ne sont pas scientifiques. Ils sont déformés et ne révèlent rien sur une opinion publique plus large.
    • Quand est-ce que l’enquête a été réalisée ? Cela peut être important. Des sondages effectués avant la campagne électorale, au début de celle-ci et à la fin, donnent forcément des résultats différents.

    Samba Dialimpa Badji est un journaliste sénégalais. Il a été le rédacteur en chef du bureau francophone d'Africa Check à Dakar de janvier 2019 à septembre 2022. Il est actuellement chercheur à l'Université métropolitaine d'Oslo (Oslo Metropolitan University), en Norvège, où ses travaux portent sur la désinformation et le fact-checking.

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