Cette photo a bien été prise au Niger, mais pas après des violences rapportées en août 2023 dans la région de Tillabéri

Une page Facebook dite Actualités Géopolitiques a publié le 22 août 2023 un texte assorti d’une photo évoquant des violences meurtrières dans le sud-ouest du Niger, dans la région de Tillabéri (autre orthographe : Tillabéry).

Contexte

Plusieurs médias citant ou reprenant l’Agence France-Presse (AFP) ont fait état de ces violences dans la région de Tillabéri, à l’instar du journal français Le Figaro dans un article mis en ligne le 18 août 2023. Les troubles ont affecté quatre départements et fait plusieurs morts dans plusieurs villages entre le soir du 15 août et la mi-journée du 16 août 2023, ont rapporté les sources mentionnées par l’AFP.

Au 18 août 2023, le bilan était d’« au moins » 28 civils tués recensés, selon une des sources, parlant d’un décompte provisoire. Une autre source a évoqué des blessés « par armes blanches et armes à feu ». Aucune indication n’a été fournie sur ce qui a déclenché les violences et leurs auteurs, toute fois un membre de la société civile dans la région a mis en cause « un cycle de représailles » entre des communautés d’éleveurs et de sédentaires dans la zone.

Nous n’avons pas trouvé de mention de ces troubles sur le site de l’Agence nigérienne de presse (ANP, officielle). Cependant, dans la période du 15 au 16 août 2023 indiquée comme étant celle de ces violences, l’ANP a rapporté « une attaque terroriste » dans le département de Torodi, dans la région de Tillabéri, dans une dépêche publiée le 16 août 2023 au matin, citant un communiqué du ministère nigérien de la Défense. Selon le texte, « le 15 août 2023, aux environs de 13 h 30, un détachement des Forces armées nigériennes (FAN) en mouvement entre Boni et Torodi a été victime d'une embuscade terroriste aux abords de la localité de Koutougou (52 km au sud-ouest de Torodi) ». « Bilan provisoire », selon la même source : 17 militaires tués, 20 autres blessés et « deux colonnes de plus d'une cinquantaine de motos chacune détruites (soit plus d'une centaine de terroristes neutralisés) au cours de leur repli ».

La région de Tillabéri est frontalière du Mali et du Burkina Faso. Ces deux pays et le Niger sont confrontés depuis des années à des attaques de groupes armés islamistes. Ils tentent d’y faire face avec leurs armées nationales ou à travers des coalitions militaires, mais sur le terrain, sont également présents d’autres acteurs, incluant des milices ou des groupes d’autodéfense, des trafiquants et des bandes criminelles.

L’organisation non gouvernementale International Crisis Group (ICG), qui travaille sur la prévention et la résolution des conflits, avait alerté en 2021 sur la situation des civils dans la région de Tillabéri après une série de violences impliquant des communautés d’éleveurs et de sédentaires. Ces troubles font « craindre un conflit civil plus large » et leur connotation communautaire « est particulièrement inquiétante », avait écrit ICG dans une analyse publiée le 28 mai 2021. « Le risque que le Niger soit le théâtre de nouveaux massacres semblables à ceux qui ont traumatisé les pays voisins, le Mali et le Burkina Faso, est très élevé. Alors que les jihadistes continuent de recruter et de s’en prendre aux communautés locales, la formation de groupes d’autodéfense peut sembler être une solution pour les civils qui vivent dans ces régions, mais cela risque aussi de déclencher de nouveaux cycles de violence qui renforceront finalement la position » des jihadistes implantés dans la zone, avait prévenu l’ONG.

Ce que dit et montre la publication sur Facebook

Le texte publié le mardi 22 août 2023 par la page Facebook Actualités Géopolitiques est un extrait de la dépêche de l’AFP du vendredi 18 août 2023 mentionnée plus haut. Le voici : « 🔴 #Niger 🇳🇪: Au moins 28 civils ont été tués en début de semaine dans des violences dans plusieurs villages du sud-ouest du Niger, près du Mali, a indiqué vendredi [le 18 août 2023, NDLR] une source officielle locale, un bilan qui pourrait être plus lourd selon une source sécuritaire. "Pour le moment on a recensé au moins 28 morts au total, mais le bilan a pu évoluer", a affirmé à l'AFP un haut fonctionnaire de la région de Tillabéri où ont eu lieu ces violences. Certains corps "ont été charriés par le fleuve" Niger, a-t-il souligné ».

Sur la photo qui accompagne le texte, l’on aperçoit des personnes dans un paysage typique du Sahel, notamment une terre ocre et une haie vive d’arbustes. Au centre de l’image, un militaire marche en regardant des débris pouvant être ceux d’un véhicule ou d’un engin lourd. Dans le coin inférieur droit, on peut lire AP, qui est le sigle de l’agence de presse Associated Press.

À propos de la page Actualités Géopolitiques

Elle a été créée le 20 septembre 2021 et a été enregistrée dans la catégorie « société de médias/d’actualités », avec un intérêt marqué pour « l’actualité géopolitique en temps réel », d’après les renseignements fournis à Facebook.

Elle est domiciliée à Dakar, au Sénégal, avec une adresse de messagerie gratuite Gmail. Elle est aussi liée à un média en ligne, Geopoltico.info, également basée à Dakar, et elle est administrée depuis la France et le Sénégal, selon les indications sur sa transparence.

Une photo bien prise au Niger, mais à Agadez et en 2013

La recherche sur la photo contenue dans la publication que nous vérifions révèle qu’elle ne date pas d’août 2023 et n’a pas été prise dans la région de Tillabéri.

Différents outils dédiés, dont TinEye et Yandex, nous ont permis de retrouver la photo d’origine, qui a été prise par AP en mai 2013 à Agadez, dans le nord du Niger.

L’image de départ figure sous le numéro d’identification 94580320619 (ID : 94580320619) sur AP Newsroom, un des sites de la plateforme d’AP. Selon la légende, elle date « du jeudi 23 mai 2013 » et elle montre « des soldats nigériens » marchant « près de débris après que des kamikazes se sont fait exploser à l’intérieur d’une caserne militaire, à Agadez ». Les assaillants, membres d’un groupe jihadiste, étaient dans des voitures « chargées d’explosifs ».

(Pour la capture d’écran ci-dessous, nous avons utilisé une traduction automatique de l’anglais vers le français faite par Bing, moteur de recherche de Microsoft.)

Depuis 2013, cette photo d’AP est utilisée pour illustrer diverses publications, qu’elles traitent d’attaques au Niger ou ailleurs dans le monde, ou d’autres sujets.

On peut ainsi la voir avec les mêmes indications contenues dans la légende sur le site du magazine israélien Times of Israel, dans un article mis en ligne le 29 mai 2013 (en anglais). Cet article est une reproduction d’une dépêche d’AP.

La même photo figure également dans un article publié le 28 mai 2013 (en anglais) sur le site de la télévision canadienne CP24. Cet article est aussi une reprise d’une dépêche d’AP.

Le 23 mai 2013, jour sanglant à Agadez et Arlit

Le 23 mai 2013, des attentats-suicides jihadistes ont frappé non seulement Agadez, mais aussi Arlit. Arlit est plus au nord d’Agadez, à environ 240 km par la route.

Ce jour-là, a rapporté la chaîne de télévision française France 24 dans un article publié sur son site le 23 mai 2013, « un véhicule a explosé (…) devant un camp militaire à Agadez » et « dans le même temps, une mine d’uranium exploitée par le géant français du nucléaire Areva, a également été la cible d’un attentat-suicide ». « Au moins vingt soldats ont été tués à Agadez », a ajouté France 24, citant le ministre nigérien de la Défense de l’époque, Mahamadou Karidjoe.

À Agadez, un des assaillants « qui s’était retranché et avait pris en otages des élèves officiers avait été ‘neutralisé’ » (pouvant signifier tué, blessé ou immobilisé, dans le jargon militaire), avait ajouté le ministre Karidjoe, cité par la radio française Radio France Internationale (RFI) dans un article mis en ligne le 23 mai 2013 et actualisé le lendemain.

D’après un décompte publié le 23 mai 2013 par le magazine Jeune Afrique sur son site, 18 militaires nigériens et un civil ont péri dans ces attaques, en même temps que quatre assaillants.

Le double attentat a été revendiqué par un des groupes jihadistes armés alors actifs au Mali et au Niger.

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Article rédigé par Faysal Arnold Boukary, complété et édité par Coumba Sylla.