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Sénégal : cette photo n’est pas celle d’une pirogue ayant fait naufrage le 24 juillet 2023 au large de Dakar

EN BREF – L’image date de mars 2006. Elle a été prise à Tenerife, dans l’archipel espagnol des Canaries, par un photographe de l’agence Associated Press (AP). La photo a été utilisée sans mention de son contexte, de sa source ou de son auteur dans de nombreuses publications relatives à des drames de migrations irrégulières.

Sur Facebook, une page appelée Vitale tv a publié le 24 juillet 2023 un texte avec une photo sur le naufrage d’une pirogue, de nuit, à Ouakam, un quartier situé le long d’une côte de la presqu’île abritant Dakar, au Sénégal.

Contexte

Plusieurs médias ont relayé la nouvelle de ce chavirement d’une pirogue survenu le lundi 24 juillet 2023 entre 2 h 00 et 4 h 00 du matin (heure locale, dans la nuit du dimanche 23 au lundi 24 juillet 2023). Jusqu’à la mise en ligne de notre article, aucune indication n’était disponible sur la cause de l’accident de l’embarcation, qui avait à bord un nombre indéterminé de personnes.

Dans une dépêche publiée le 25 juillet 202 »3, l’Agence de presse sénégalaise (APS, officielle) a indiqué que la pirogue « transportait des candidats à l’émigration » lorsqu’elle a chaviré. Le bilan « est de seize morts et trois rescapés », a rapporté l’APS, citant le porte-parole du gouvernement sénégalais, le ministre Abdou Karim Fofana, selon lequel le seizième corps a été retrouvé « au large de Ouakam ».

Dans un article mis en ligne le 24 juillet 2023 (et actualisé le 25 juillet 2023) par BBC Afrique, le site du service en français pour l’Afrique du diffuseur public britannique BBC, des autorités locales ont indiqué que dix-sept personnes avaient péri dans le drame. « Le nombre de personnes à bord de la pirogue n'est pas encore connu, mais deux personnes ont été sauvées vivantes tandis que dix-sept corps ont été découverts »,y est-il écrit. « Les corps ont été découverts par la marine tôt lundi matin (24 juillet 2023, NDLR) et sont considérés comme des migrants en raison du type d'embarcation dans laquelle ils se trouvaient », est-il encore indiqué dans ce texte, citant notamment une responsable de la mairie de Ouakam, Ndèye Top Guèye.

« Le lieu de départ, les nationalités et la destination des victimes restent inconnus », est-il précisé dans un article publié le 25 juillet 2023 sur son site par le journal français Le Monde. Cependant, un autre responsable municipal de Ouakam cité dans ce texte, Samba Kandji, a estimé qu’il s’agissait de « migrants a priori ». De même source, la Marine sénégalaise « a obligé l’embarcation à accoster et des gens se sont enfuis. Certains ont sauté mais ne savaient pas nager ».

Ce que dit et montre la publication de Vitale tv du 24 juillet 2023

« Avant même de quitter le territoire national sénégalais, une pirogue qui tentait de pénétrer le territoire Espagnol échoue vers 02h du matin à Ouakam. Provisoirement, le bilan fait 15 morts. Son lieu de départ reste encore méconnu. #Vitaletv #info », a écrit Vitale tv sur sa page Facebook le 24 juillet 2023.

Ce texte est accompagné d’une photo montrant au premier plan une pirogue en bois ayant à bord plusieurs dizaines de personnes, en mer. En arrière-plan, on aperçoit une plage de galets planté de cocotiers et de parasols devant un alignement d’immeubles.

 

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La même photo a été utilisée par Vitale tv dans une autre publication le 25 juillet 2023 sur Facebook.

« Contrairement à l’information qui circule, la pirogue qui a échoué ce lundi (24 juillet 2023, NDLR) à Ouakam avec notamment 18 corps sans vie n’aurait pas chaviré. Elle aurait été percutée par l’un des trois navires de la Marine nationale, qui l’avait prise en chasse. C’est le vice-président du quai de pêche de Ouakam, Daouda Ndiaye, qui donne l’information dans les colonnes de L’Observateur. Ce dernier dit la tenir de deux rescapés de l’embarcation qui se rendait en Espagne; l’un vient de Touba et avait déboursé 500 000 francs CFA pour le voyage et l’autre est originaire de Mboro et avait payé 400 000 francs CFA », peut-on lire dans le texte reproduit tel qu’écrit.

L’Observateur, surnommé L’Obs, est un quotidien privé sénégalais.

Touba est une ville située dans la région de Diourbel, dans le centre du Sénégal. Elle est une importante cité religieuse : des millions de mourides, membres d’une des principales confréries musulmanes du pays, y convergent chaque année pour des célébrations et leur grand pèlerinage annuel, le Magal.


Lire notre article de blog : « "90 % des musulmans" vivent-ils "leur foi à travers une affiliation confrérique"  ? Question sur des données complexes et peu communiquées au public »


Mboro est une ville côtière dans la région de Thiès (ouest du pays). Elle est située sur le littoral appelé Grande Côte, reliant Dakar à Saint-Louis (nord-ouest).

Au taux de change du 25 juillet 2023, date de la seconde publication évoquée, 500 000 francs CFA (FCFA) équivalaient à un peu plus de 760 euros et près de 850 dollars américains. À la même date, 400 000 FCFA atteignaient près de 610 euros et près de 680 dollars américains.

 

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À propos de la page Vitale tv

Créée le 30 juin 2020, elle a été enregistrée comme un programme de télévision.

Aucune indication n’a été fournie comme ville de résidence, le ou les pays d’où elle est gérée. Elle mentionne cependant comme contacts un numéro de téléphone sénégalais et une adresse de messagerie gratuite Gmail.

Elle est aussi liée à un compte sur YouTube, Vitale Télévision, avec le même logo, se présentant comme « une chaîne généraliste qui propose un programme très riche ». Le contenu concerne essentiellement le Sénégal. Ce compte est « actif depuis le 30 juin 2020 », même date que celle de la création de la page Facebook.

 

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Une photo prise en mars 2006 aux Canaries

La recherche sur la photo utilisée par la page Facebook Vitale tv dans sa publication sur le naufrage d’un bateau au large de Dakar permet de préciser qu’elle ne date pas de juillet 2023 et qu’elle n’a pas été prise au Sénégal. Nous avons utilisé plusieurs outils dédiés dont TinEye et Google Images.

Nous avons ainsi pu remonter à l’image d’origine, créditant un photographe de l’agence internationale Associated Press (AP), Alvaro Barrientos. Elle a été prise le 21 mars 2006 à Tenerife (autre orthographe : Ténériffe), une des îles espagnoles des Canaries, dans l’océan Atlantique, au large du Maroc. Cette île est une destination qui attire de nombreux touristes.

La photo réalisée par Barrientos figure notamment sous le numéro d’identification 060321014668 (ID: 060321014668) sur AP Newsroom, un des sites de la plateforme d’AP. Elle a également été archivée sous d’autres numéros et/ou dans d’autres langues sur la plateforme (ID: 060321035788 et ID: 060321035762, par exemple).

Selon la légende, elle montre « un petit bateau transportant 73 candidats à l’immigration » naviguant « près du port de Cristianos, sur l’île canarienne de Tenerife, en Espagne, le mardi 21 mars 2006 ».

Cristianos ou Los Cristianos (en anglais, Christianos) est situé sur la côte sud de Tenerife, et c’est l’un des deux ports de l’île, d’après des sites spécialisés sur la destination (1, 2).

(Pour la version française de la capture d’écran ci-dessous, nous avons utilisé une traduction automatique faite par Bing, moteur de recherche de Microsoft.)

 

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La photo d'Alvaro Barrientos concernée par notre vérification est régulièrement utilisée pour illustrer des publications relatives à des drames de migrations irrégulières.

C’est le cas du site Africanews, qui l’a publiée avec les indications idoines dans un article mis en ligne le 10 juillet 2023.

 

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Depuis 2006, certains médias ou pages sur les réseaux sociaux ont publié la même image, sans toutefois prendre la peine d’en mentionner le contexte, la source ou l’auteur.

« Accélération » de tentatives d’émigration par des voies irrégulières au Sénégal

Le Sénégal a enregistré plusieurs tentatives d’émigration par des voies irrégulières, marquées par des drames. D’après les témoignages, les candidats à ces voyages prennent la direction de l’Europe via les Canaries en empruntant des pirogues ou par la route, via le Sahara (Mali, Niger, Libye, Algérie, Tunisie…). En 2023, des récits ont évoqué de nouvelles routes d’émigration en dehors des voies légales, par l’Amérique du Nord via l’Amérique du Sud. C’est le cas du Nicaragua qui, auprès de certains Sénégalais, est actuellement « considéré comme un tremplin vers les Etats-Unis », a rapporté le journal français Le Monde dans un article mis en ligne le 13 septembre 2023.

En 2023, le Sénégal a connu une « accélération des départs » de candidats à l’émigration hors des routes légales, a noté le site d’information InfoMigrants dans un article publié le 28 juillet 2023. Lancé en 2017 et impliquant plusieurs médias européens, ce site est « destiné à lutter contre la désinformation dont sont victimes les migrants où qu’ils se trouvent », selon ses initiateurs.

L’article rappelle des tentatives récentes témoignant de cette « accélération » : « Mercredi 19 juillet (2023, NDLR), les sauveteurs espagnols ont porté assistance à 82 personnes, parties du Sénégal, au large des Canaries. Une semaine plus tôt, 41 migrants, qui avaient quitté les côtes sénégalaises, ont débarqué "par leurs propres moyens" sur une plage de Ténérife, dans l’archipel espagnol, selon les services de secours. Par ailleurs, entre le 28 juin et le 9 juillet, 260 Sénégalais "en détresse" ont "été secourus dans les eaux territoriales marocaines", a indiqué le ministère sénégalais des Affaires étrangères ».

On peut encore y lire : « Dans le même temps, les naufrages se multiplient. Une pirogue a chaviré le 12 juillet (2023, NDLR) au large de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, provoquant la mort d’au moins 15 personnes. Et depuis fin juin (2023, NDLR), trois canots, composés de quelque 300 exilés, sont portés disparus. Ils avaient eux aussi pris la mer depuis les plages sénégalaises », tandis que « la Marine marocaine a annoncé récemment avoir porté secours ces derniers jours à près de 900 migrants irréguliers, la plupart d'Afrique subsaharienne, dont 400 dans les eaux territoriales ».

Dakar veut « réduire drastiquement » les tentatives d’émigration irrégulière « à l’horizon 2033 »

Dans la foulée du naufrage survenu au large de Ouakam, à Dakar, le Sénégal a présenté le 27 juillet 2023 un plan pour faire face à ces départs par voie irrégulière, dit « Stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière (SNLMI) ».

Ce programme sera développé sur dix ans, jusqu’à « l’horizon 2033 », a déclaré le gouvernement. Il n’en a pas précisé le budget, mais il a précisé que le plan sera financé par l’État sénégalais « et des partenaires extérieurs », selon un article mis en ligne le 27 juillet 2023 (et actualisé le 28 juillet 2023) par Africanews.

Dans cette période, le Sénégal mettra ainsi l’accent sur des « piliers essentiels » dont « la promotion de l'éducation et de la formation », ainsi que « la création d'emplois et d'opportunités économiques », a affirmé le Premier ministre sénégalais Amadou Ba dans son discours lors de la cérémonie. Il a aussi cité « la protection des droits humains et la lutte contre l'exploitation » et également « la sensibilisation et la coopération internationale ».

Le but est d’arriver à « réduire drastiquement la migration irrégulière à l’horizon 2033 », a-t-il déclaré, cité par l’Agence de presse sénégalaise.


Cet article a été réalisé par le journaliste congolais (de la République démocratique du Congo) Christian Malele Céphas (Balobaki Check) dans le cadre d’un stage d’immersion au sein de la rédaction francophone d’Africa Check, à Dakar, soutenu par un projet du département d'État américain.

Texte relu par Faysal Arnold Boukary et Dieynaba Thiombane, complété et édité par Coumba Sylla.

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