Retour sur Africa Check
GEORGES GOBET / AFP

300 000 jeunes arrivent-ils chaque année sur le marché du travail au Sénégal ? 

Le média public franco-allemand ARTE a consacré un numéro de son émission 28 minutes ARTE à la crise politique que traverse le Sénégal à cause du report, par le président Macky Sall, de l’élection présidentielle qui y était prévue le 25 février 2024.

Ce numéro de 28 minutes ARTE intitulé « Présidentielle reportée, opposants réprimés : le Sénégal, une pétaudière ? » a été mis en ligne le 6 février 2024 sur la chaîne YouTube de l’émission qui totalise près de 500 000 abonnés. Nicolas Normand, ancien ambassadeur de la France au Sénégal, en Gambie, au Mali et en République du Congo, était un des invités de cette émission. Il est par ailleurs auteur de l’ouvrage Le grand Livre de l’Afrique. Chaos ou émergence au sud du Sahara ? 

Un des thèmes débattus durant cette émission était « le sentiment anti-français au Sénégal ». Pour rappel, lors des émeutes de juin 2023 au Sénégal, plusieurs entreprises françaises présentes au Sénégal telles que Auchan, Orange, Eiffage, Total, etc, ont été attaquées et pillées à Dakar par des manifestants, dont des sympathisants de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko qui « incarne dans son discours une forme de rupture avec la France », selon l’une des présentatrices de l'émission. C’est dans ce sens que Nicolas Normand a tenté d’analyser les raisons derrière ce sentiment anti-français ainsi que la possibilité de le voir prendre de l’ampleur au Sénégal.

« Au Sénégal, malgré les bons chiffres de l’économie (...), il y a 300 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail et qui ne trouvent pas de travail », a déclaré le diplomate français.  

Nous avons tenté de connaître quelle est la source de l’affirmation de Nicolas Normand, mais nos sollicitations sont restées sans réponse. 

Mais comme nous l'avons démontré dans cet article publié en mai 2023, il n'existe de données probantes permettant d'établir le nombre de personnes qui arrivent sur le marché de l'emploi chaque année au Sénégal.

Les chiffres sur l’emploi varient d’une source à l’autre

Notons que différents chiffres sont mis en avant sur la question du nombre de jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année au Sénégal, en plus de celui avancé par l’ancien ambassadeur de la France au Sénégal, Nicolas Normand. 

Par exemple, cet article publié sur le site des Nations unies au Sénégal en janvier 2022 et intitulé « Renforcer les compétences et créer des opportunités pour promouvoir l'emploi des jeunes » indique que chaque année, on enregistre entre 100 000 et 260 000 jeunes sur le marché du travail au Sénégal. L’auteur de l’article, Papa Cheikh Sakho Jimbira, analyste de la communication et du plaidoyer au sein du Bureau de la coordinatrice résidente des Nations unies au Sénégal, a dit s’être basé sur des données de l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD). C’est également la source fournie par des médias sénégalais qui font état d’environ 300 000 jeunes sur le marché de l’emploi chaque année dans le pays. 

Sur son site, l’Agence française de Développement (AFD) parle de 100 000 jeunes au Sénégal qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année. Mais l’AFD a précisé à Africa Check que le chiffre a été donné dans le cadre d’un projet et que ce chiffre « n’est plus à jour » étant donné l’ancienneté dudit projet.


Lire aussi - Sénégal : deux déclarations d'un sociologue sur le chômage et l’emploi des jeunes examinées


Une statistique quasi impossible à estimer au Sénégal

Le ministère sénégalais du Travail, du Dialogue social et des Relations avec les Institutions a fait savoir qu’il ne produit pas de données sur le nombre de jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année et nous a recommandé de nous référer à l’ANSD et aux autres agences consacrées à l’emploi au Sénégal.

En mai 2023, l'ANSD avait précisé à Africa Check qu’elle ne possède pas « un dispositif qui permet de mesurer avec toute la rigueur requise le nombre de jeunes qui arrivent sur le marché du travail chaque année ». L’agence dispose, par contre, des statistiques sur la population en âge de travailler pour chaque année. « Parmi les jeunes en âge de travailler, il y en a qui ne sont pas actifs sur le marché du travail : ils restent, par exemple, dans le système éducatif ; d'autres ne cherchent pas du travail pour une raison ou une autre », avait commenté l’agence statistique sénégalaise.

Relancée à nouveau par Africa Check, l’ANSD a réitéré qu’elle ne dispose pas encore de cette statistique.

De son côté, l’Agence nationale pour l’Emploi des Jeunes (Anpej) nous a expliqué, en mai 2023, que le nombre de jeunes arrivant sur le marché de l’emploi chaque année est une statistique « très complexe à estimer, car tous les éléments ne sont pas toujours réunis pour le calculer ».

Pour recueillir ces données, l’Anpej a indiqué à Africa Check qu’elle procède à des « extrapolations scientifiques difficiles ». Elle dit disposer d’un système d’informations sur lequel elle invite des jeunes à s’inscrire. Mais la difficulté réside dans le fait que beaucoup de jeunes s’y inscrivent dans le but d’obtenir un financement ou un stage, au lieu de le faire systématiquement parce qu’ils sont en âge de travailler et ont des compétences à faire valoir. 

À cela, poursuit l’Anpej, s’ajoute le fait qu’au Sénégal, certains jeunes diplômés sortent des écoles de façon prématurée, et d’autres perdent leur emploi chaque année; ce qui rend difficile la collecte et l'estimation de la statistique en question. L’Anpej a, par ailleurs, relevé qu’elle procède à des recoupements de données avec ses structures de base et des enquêtes régionales, mais surtout avec des études se faisant sur le marché, « notamment celles de structures rigoureuses comme l’ANSD qui font des enquêtes régulières ».

« Il y a aussi des articles scientifiques qui viennent en appoint, de même que des données au plan international pouvant provenir par exemple de la Banque mondiale. Tout cela peut permettre à l’Anpej de croiser des données et des chiffres médians sur l’emploi », a expliqué l’Agence, indiquant que ces chiffres « plus ou moins rigoureux » sur l’emploi ne sont pas totalement fiables, car n’étant pas sous-tendus par des preuves immédiatement disponibles.


Article édité par Valdez Onanina.

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